Publié le 13 jan 2009Lecture 10 min
Anomalies du cortex cérébral dans la schizophrénie
Arnaud CACHIA, Unité INSERM CEA U797,Orsay
Comme ce fut le cas pour l’imagerie cérébrale fonctionnelle il y a quelques années, le développement actuel de l’imagerie anatomique laisse entrevoir de nouvelles perspectives dans l’étude des bases cérébrales de la schizophrénie. En effet, l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet maintenant, en routine clinique, d’avoir accès de manière non invasive à l’anatomie fine du cerveau de patients schizophrènes. L’analyse informatisée de ces IRM avec des méthodes de morphométrie cérébrale a permis de mettre en évidence des anomalies subtiles du cortex cérébral, invisibles par la seule inspection visuelle. Cette mesure objective et quantifiée de l’anatomie du cerveau, intermédiaire entre le génome et son expression comportementale, ouvre de nouvelles perspectives en psychiatrie, en particulier pour la mise en relation avec les données issues de la recherche en génétique et pour l’évaluation des nouvelles stratégies thérapeutiques.
Morphométrie cérébrale : nouvelle donne La recherche de particularités anatomiques du cerveau dans la schizophrénie n’est pas récente.En effet, dès le début du XIXe siècle, Elmer Southard, psychiatre américain à l’université d’Harvard,s’est intéressé à l’anatomie du cortex cérébral de patients souffrant de démence précoce (appellation initiale de la schizophrénie). En 1915, il publie un article (1) dans lequel il répertorie les anomalies corticales observées à partir de photographies de 25 cerveaux post mortem.Malgré de nombreux biais méthodologiques (absence de groupe contrôle,expérimentateur unique, connaissance a priori du sous-groupe étudié…),cette étude pose les bases de la morphométrie cérébrale dans la schizophrénie en tentant de répondre aux questions suivantes :existe-t-il des anomalies spécifiques du cortex cérébral dans la schizophrénie ? Sont-elles associées à des perturbations de la maturation cérébrale ? Où sont-elles localisées ? Ont-elles un lien avec la clinique des patients ? L’intérêt pour l’étude du cortex cérébral s’est ensuite peu à peu tari,en partie à cause de sa très grande variabilité. En effet, même s’il existe un « air de famille » entre tous les cerveaux humains,la variabilité de leur forme, l’intrication de sillons (les « creux » en couleur, figure 1) et de gyri (les « bosses ») d’un individu à l’autre rendent très difficile la distinction entre la variabilité normale et la variabilité pathologique. La preuve par l’IRM L’apparition de l’IRM dans les années 80, qui fournit des images tridimensionnelles de l’anatomie du cerveau avec une grande résolution spatiale et un bon contraste entre les différents compartiments cérébraux, a relancé l’intérêt pour l’étude de l’anatomie macroscopique du cerveau dans la schizophrénie. La mise en évidence d’anomalies corticales dans la schizophrénie est étroitement liée aux progrès méthodologiques en neuro-imagerie.L’informatisation de l’analyse des images cérébrales a en effet permis de passer d’une analyse par inspection visuelle,dépendant de l’opérateur, à une analyse objective et quantifiée des anomalies fines de l’anatomie cérébrale. Diminution du cortex hétéromodal associatif et paralimbique Les premières études informatisées ont utilisé la méthode dite « des régions d’intérêt » (ROI), où l’opérateur dessine des régions a priori pertinentes pour les comparer ensuite.Cette approche a permis de mettre en évidence une diminution globale du volume cérébral,avec une diminution de 1 à 6% des volumes de matière grise et de matière blanche, et une augmentation de 20 à 30 % des volumes des ventricules chez les patients schizophrènes par rapport aux sujets sains. Des études régionales ont montré des diminutions volumétriques (2 à 8 %) dans le cortex hétéromodal associatif (régions préfrontales,temporales, en particulier le gyrus temporal supérieur) et paralimbique (régions insulaires et temporales médiales dont l’amygdale, l’hippocampe,le thalamus) (2). Il est intéressant de remarquer que les régions touchées sont impliquées dans la planification,la mémoire, le langage et la régulation émotionnelle, qui sont des fonctions cognitives particulièrement altérées dans la schizophrénie. Toutefois, bien que précise, cette approche est très longue et difficile à mettre en oeuvre, en particulier pour les régions corticales de forme très complexe,ce qui limite à la fois le nombre de sujets étudiés et le nombre de régions analysées. Normalisation spatiale : pour voir des anomalies invisibles ! Depuis une dizaine d’années, de nombreuses méthodes informatisées de morphométrie cérébrale ont été développées pour étudier l’anatomie de l’ensemble du cerveau. La principale difficulté rencontrée par ces méthodes automatiques concerne l’étude du cortex, dont l’anatomie varie considérablement d’un individu à un autre. Ce problème a été contourné en utilisant la technique dite de « normalisation spatiale » consistant à doter chaque cerveau d’un système de coordonnées (comme la grille de Talairach) qui indique une localisation dans un cerveau de référence (ce système s’obtient en déformant chaque cerveau de manière à l’ajuster autant que possible au cerveau de référence ou « template ») (3). L’analyse se fait alors au niveau de l’information anatomique contenue dans chaque voxel (densité ou volume d’un tissu) suivant des critères statistiques. Cette approche a permis de détecter des anomalies subtiles, invisibles par la simple inspection visuelle,dans de nombreuses régions cérébrales. Les régions frontales et temporales en ligne de mire Ainsi,une métaanalyse recensant les études cas-contrôles publiées jusqu’à mai 2004, comparant des patients schizophrènes (au total 390 patients) à des sujets sains (au total 364 sujets sains) indique des déficits de matière grise et blanche répartis dans une cinquantaine de régions cérébrales, corticales et sous-corticales (4). Toutefois, parmi ces 50 régions,seulement deux régions, le gyrus temporal supérieur et le lobe temporal médial dans l’hémisphère gauche, apparaissent dans plus de la moitié de ces études. Dans près de 50 % des études, des déficits sont rapportés dans le gyrus frontal inférieur gauche, le gyrus frontal moyen gauche, le gyrus temporal supérieur gauche, ainsi que le gyrus parahippocampique gauche. Cette variabilité entre les études dans les régions identifiées s’explique à la fois par la variabilité des paramètres utilisés pour l’analyse des images, ainsi que par la variabilité clinique des patients. En outre, la taille des échantillons est,comme dans les études en génétique,un facteur clé.Une étude récente,portant sur un échantillon de taille exceptionnelle (200 patients vs 200 sujets sains), illustre cela très clairement, puisque l’essentiel des anomalies cérébrales,trouvées de manière plus ou moins reproductible dans les différentes études précédentes,ont été détectées au sein du même échantillon (5). Cependant,ces comparaisons fondées sur la technique de normalisation spatiale des images ont des limites. En effet,l’interprétation des résultats obtenus par cette approche n’est pas simple. Lorsqu’une anomalie locale apparaît, il est parfois difficile de savoir s’il s’agit d’une réelle anomalie anatomique ou bien si c’est la justesse de la normalisation qui est en cause. Par exemple, si un sillon apparaît un peu plus à droite ou à gauche que le « sillon moyen », il pourra être considéré comme anormal alors qu’il est simplement mal recalé. De nouvelles approches ont donc été mises au point,permettant une description complémentaire de l’anatomie corticale à partir de l’étude directe des plissements du cortex. Focus sur les plissements du cerveau L’inspection visuelle de coupes sagittales d’IRM a permis de mettre en évidence une anomalie qualitative du motif sulcal dans la région cingulaire chez des patients schizophrènes, avec une perte d’asymétrie par rapport à des sujets sains contrôles (6). Cette anomalie qualitative du cortex a été interprétée comme une trace d’anomalie précoce du développement cérébral, au moment où les plissements de la région cingulaire se mettent en place (c’est-à-dire au cours du 3e trimestre de grossesse). L’indice de gyrification Afin de détecter des anomalies quantitatives des plissements corticaux, de nombreuses études ont utilisé l’index de gyrification (GI) (7) qui mesure le taux de cortex enfoui à partir du ratio entre la longueur de l’enveloppe externe du cortex (en noir, figure 2) et la longueur totale du cortex (en blanc,figure 2) mesurées sur une coupe du cerveau.Cet index planimétrique a permis de mettre en évidence des anomalies de la gyrification aussi bien chez des patients schizophrènes chroniques, que lors du premier épisode psychotique, et même avant que la maladie ne soit pleinement caractérisée (8,9). Cette anomalie peut être considérée comme un marqueur trait de la maladie, c’est-à-dire indépendant de l’état clinique du patient, puisqu’elle est présente à tous les stades d’évolution de la maladie. Les plis en 3D Afin de préciser ces anomalies du cortex cérébral, nous avons développé au sein de l’unité INSERM-CEA U797, en collaboration avec les chercheurs du centre CEA de Neurospin, une méthode permettant d’analyser la forme tridimensionnelle de chaque plissement du cortex (10). Cela nous a permis de mettre en évidence des anomalies subtiles des plissements corticaux localisées dans des régions impliquées dans le langage (en rouge,figure 3) chez des patients schizophrènes souffrant d’hallucinations auditives chroniques résistantes aux traitements (11). Nous avons également utilisé cette approche pour étudier des adolescents ayant une schizophrénie précoce (c’est-à-dire dont les troubles ont débuté avant l’âge de 18 ans). Nous avons ainsi détecté une diminution de la surface du sillon collatéral (12) (en rouge, figure 3), qui est un sillon du cortex temporal interne et qui limite les gyri hippocampique, fusiforme et lingual qui sont des structures cérébrales impliquées dans des fonctions fortement altérées dans la schizophrénie :la mémoire, l’apprentissage, la régulation émotionnelle. Des études chez des adolescents sains ont montré que la région temporale interne et, plus particulièrement,le sillon collatéral, était l’une des régions présentant les modifications anatomiques les plus importantes durant l’adolescence (13) (figure 4 :plus la couleur est chaude, plus la modification de l’épaisseur corticale est importante).Ces résultats renforcent l’hypothèse d’un lien entre le développement de la maladie schizophrénique et une perturbation de la maturation cérébrale à l’adolescence (14). Vers l’identification de sous-groupes de patients Le développement actuel de la morphométrie cérébrale a permis de montrer que certains dysfonctionnements cérébraux dans la schizophrénie étaient sous-tendus par des anomalies anatomiques. L’étude des déviations de la maturation cérébrale lors de l’apparition des troubles,voire avant leur apparition, est une étape indispensable pour en préciser les différentes étapes et, à long terme, pour développer des outils paracliniques d’aide diagnostique et pronostique. La maturation du cerveau est le fruit des influences génétiques et environnementales. Aussi,la mesure objective et quantifiée de l’anatomie du cerveau, intermédiaire entre le génome et son expression comportementale, pourrait contribuer à identifier des sous-groupes génétiques de patients et à définir des stratégies thérapeutiques plus adaptées au sein de chaque groupe.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :