Publié le 20 déc 2010Lecture 14 min
Comment reconnaître une pseudo-crise épileptique ?
B. de TOFFOL, Service de Neurologie et de Neurophysiologie clinique, CHU Bretonneau, Tours
Le diagnostic de pseudo-crise (ou d’événement non épileptique [ENE], terme préférable) est affirmé par l’enregistrement vidéo-EEG d’un épisode. Le neurologue qui porte le diagnostic doit prendre en charge le patient au stade initial. Le diagnostic de pseudo-crise n’est pas un diagnostic d’élimination, mais un diagnostic positif qui s’inscrit dans le cadre d’une approche médicale globale. Le problème est fréquent : environ 20 % des événements enregistrés en vidéo-EEG sont des pseudo-crises. Le lien entre pseudo-crise et état de stress post-traumatique est bien établi. Le traitement reste mal codifié.
Le diagnostic d’une « crise » dans un sens très général (déficit neurologique et/ou changement brusque du comportement de durée brève) est résumé dans le tableau et regroupe des causes neurologiques, cardiovasculaires, métaboliques et psychologiques/ psychiatriques. Une pseudo-crise ou événement non épileptique (ENE) appartient au cadre des événements d’origine psychologique. Elle est définie de manière descriptive, sans présupposés étiologiques, comme « un changement brutal du comportement, des perceptions, des pensées ou des sentiments d’un sujet pendant une durée limitée, qui rappelle ou qui ressemble à une crise d’épilepsie, mais sans le concomitant électrophysiologique associé à une crise épileptique » (1). Les neurologues qui disposent de moyens vidéo-EEG sont en mesure d’établir le diagnostic des ENE avec certitude en enregistrant un épisode. Ils doivent par conséquent prendre en charge les sujets en première intention. Les ENE sont fréquents : nous en avons observé 37 cas dans une étude rétrospective portant sur 213 patients (17,4 %) enregistrés consécutivement au CHU de Tours dans le cadre du diagnostic positif de manifestations paroxystiques de nature inconnue ou d’un bilan d’exploration préchirurgicale (2). Cette proportion correspond aux données de la littérature. Les ENE peuvent être isolés ou associés à d’authentiques crises épileptiques. Dans ce dernier cas, ils compliquent l’évaluation de la gravité propre de l’épilepsie. Les ENE témoignent fondamentalement d’un mode particulier de présentation de certains troubles psychologiques, caractérisé par un début brutal et une durée brève. Ils sont de plus très souvent la conséquence d’un état de stress post-traumatique (ESPT) en rapport avec des violences physiques et sexuelles survenues dans l’enfance ou l’adolescence. Les ENE nécessitent une procédure diagnostique active et systématique et une prise en charge spécifique. Le diagnostic doit être porté après une analyse globale de la condition clinique d’un patient : il s’agit d’un diagnostic positif et non d’un diagnostic d’exclusion. Cette distinction est importante compte tenu du malentendu inaugural qui oriente la prise en charge pratique. Les patients sont en effet vus par des épileptologues qui enregistrent des « crises ». La grille de lecture des symptômes qui en découle est « épileptologique » et peut se limiter à écarter le diagnostic de crise d’épilepsie. À partir du moment où le trouble clinique n’est pas la conséquence d’une désorganisation critique, l’épileptologue apparaît désorienté : que faire ? que dire ? quelle prise en charge proposer ? Les patients prennent souvent depuis de nombreuses années un traitement antiépileptique et sont considérés par leur entourage, par la société et surtout par eux-mêmes comme des personnes épileptiques. Il en résulte que l’annonce du diagnostic et la prise en charge pratique nécessitent une procédure appropriée sous peine d’être délétères. L’épileptologue doit réagir en médecin qui prend globalement en charge une personne malade. Il s’agit d’un diagnostic positif et non d’un diagnostic d’exclusion. Position du problème et terminologie La terminologie utilisée dans la littérature témoigne des difficultés conceptuelles auxquelles les cliniciens ont été confrontés. D.A. Scull (3) a ainsi répertorié pas moins de quinze synonymes qui désignent les ENE, dont certains ont une connotation franchement péjorative : crises psychogènes, pseudo-crises, crises pseudo-épileptiques, crises hystériques... illustrant la difficulté à qualifier adéquatement les événements observés. Il s’agit d’une crise, dans l’acception phénoménologique du mot, qui désigne simplement une modification brusque qui tranche avec le comportement en cours. Ces crises ne sont pas épileptiques, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de manifestations cliniques en rapport avec la décharge paroxystique d’un groupe de neurones cérébraux. Elles ne sont pas simulées, ni produites de manière consciente (les crises simulées sont un diagnostic différentiel). Psychogène est un terme générique vaste, qui inclut les attaques de panique et les troubles anxieux aigus qui appartiennent également au diagnostic différentiel. De plus, certaines crises épileptiques authentiques sont psychogènes, au sens de « déclenchées par l’activité mentale », ce qui crée une ambiguïté supplémentaire. Le terme événement non épileptique a un intérêt descriptif sans présupposés étiologiques. Quinze synonymes désignent les ENE. La classification utilisée dans la littérature est source de confusion. Elle résulte des modalités particulières de raisonnement employées par les épileptologues qui ont défini les événements par rapport à la classification des crises épileptiques authentiques. Les ENE sont ainsi classés en crises « pseudo-généralisées », crises « pseudo-partielles » ou « pseudo-absences », ce qui n’a aucun intérêt pratique véritable. Dans la même perspective limitée à l’établissement d’un diagnostic différentiel, certains signes cliniques ou certaines données EEG élémentaires ont été considérés comme potentiellement discriminants : fermeture des yeux pendant un ENE versus yeux ouverts pendant une crise épileptique généralisée, mouvements du bassin, troubles particuliers de la posture, pseudo-secousses respectant la face à l’occasion d’un ENE et non lors d’une crise épileptique, séquences motrices plus ou moins spécifiques, modifications particulières de l’EEG... Cette manière de procéder est source d’erreurs : certaines crises partielles frontales se manifestent par des comportements moteurs bizarres de durée brève, et l’EEG est souvent le siège d’artéfacts liés aux mouvements. L’enregistrement de surface est habituellement normal pendant une authentique crise partielle simple… Surtout, se référer uniquement au phénomène observable laisse penser à tort que des critères cliniques et/ou EEG sortis de leur contexte permettent de porter aisément un diagnostic d’ENE, alors qu’une analyse globale de la condition psychopathologique du patient est nécessaire. Une présentation clinique duale Deux situations différentes résument l’ensemble des présentations cliniques : Les états d’aréactivité sans manifestations motrices Le patient devient brutalement aréactif, sans autres signes, et ne réagit à aucune stimulation. Il peut chuter de manière potentiellement traumatisante. La crise peut durer plusieurs minutes, l’activité alpha reste présente sur l’EEG. Le visage est calme, et quand les yeux sont fermés, une certaine résistance peut être opposée à la tentative d’ouverture. Le diagnostic est facile quand la crise est directement observée. Ce mode de présentation concerne environ un tiers des patients (4). La durée du trouble est variable, brève ou prolongée pendant parfois plusieurs dizaines de minutes. Les témoins indiquent que le patient est « absent ». Les crises caractérisées par une importante activité motrice plus ou moins désordonnée L’absence de phénomènes rythmiques stéréotypés, la fluctuation au cours du temps, l’installation plus ou moins graduelle, la longue durée de l’épisode sont plus fréquemment rencontrées lors des ENE, mais la variété des symptômes défie toute tentative de systématisation. Aspects nosologiques Les ENE appartiennent aujourd’hui au cadre général des troubles dissociatifs et somatoformes dans les classifications descriptives du DSM-IV (5), qui ont remplacé l’ancienne catégorie « Hystérie ». Les données cliniques historiques se rapportant à l’hystérie sont riches en descriptions de crises aiguës ou paroxystiques, parfois subdivisées en : grandes attaques, formes mineures, crises à prédominance d’inhibition, crises à expression psychique prédominante (6) qui permettent peu ou prou de retrouver l’ensemble des manifestations rencontrées lors de l’enregistrement des ENE. Le terme hystérique, dont le sens technique se réfère à la théorie psychanalytique, correspond à un mécanisme supposé de conversion, c’est-à-dire à la transformation d’un conflit psychologique en symptômes somatiques : il a actuellement une connotation péjorative et regroupe des manifestations très variables, confondues avec un type de personnalité particulier. Les systèmes de classification symptomatiques modernes ne font pas référence à un mécanisme psychopathologique conjectural. Le terme hystérique a actuellement une connotation péjorative. La dissociation correspond à un mécanisme mental sans signes physiques (somatiques) observables intéressant les fonctions intégratives de la conscience : mémoire, perception, identité entraînant respectivement amnésie, dépersonnalisation, trouble de l’identité et fugues. Les troubles somatoformes correspondent à des symptômes physiques observables mimant une affection neurologique ou médicale. Les ENE en tant que phénomènes observables sont ainsi classés dans un sous-type de troubles somatoformes, les conversions, au sein d’un ensemble plus vaste. Dans les classifications modernes, le terme de conversion n’a qu’une signification purement descriptive. Les troubles (dissociatifs [conversion]) constituent ainsi un ensemble hétérogène de phénomènes caractérisés par une atteinte partielle ou complète de l’intégration entre la mémoire, le sentiment d’identité, les perceptions immédiates et le contrôle du corps. L’interrogatoire rétrospectif du sujet à distance de ces états retrouve constamment une amnésie de l’épisode aigu, ce qui favorise la confusion avec une crise épileptique. Parmi les symptômes dissociatifs, il a été décrit des états crépusculaires ou hypnoïdes, ainsi que des manifestations psychiques paroxystiques avec amnésie dont la durée est suffisamment brève pour qu’un diagnostic de crise épileptique puisse être envisagé. Étiologie : le rôle des états de stress post-traumatique L’intérêt du cadre des troubles dissociatifs est qu’il a pu être relié à des circonstances étiologiques particulières, et tout particulièrement aux conséquences d’un ESPT (7). Pour certains, neuf patients sur dix atteints d’ENE ont des antécédents de traumatismes sexuels ou de violences physiques graves et 85 % un trouble dissociatif cliniquement patent (8). La procédure diagnostique doit être active, systématique et orientée. Un interrogatoire biographique complet, un entretien psychiatrique structuré complété par l’utilisation d’échelles standardisées (anxiété, dépression, personnalité, recherche d’un état de stress post-traumatique à l’aide d’échelles spécifiques), une évaluation des conditions sociales et professionnelles sont nécessaires. Un psychiatre formé à la prise en charge des troubles dissociatifs doit être intégré à l’équipe neurologique et l’aide d’une assistante sociale est hautement recommandée. Tous les patients participant à une évaluation vidéo-EEG devraient bénéficier d’une évaluation psychiatrique soigneuse. Neuf patients sur dix atteints d’ENE ont des antécédents de traumatismes sexuels ou de violences physiques graves. Les principales caractéristiques biographiques, les traits de personnalité, les résultats significatifs des échelles de mesure peuvent être résumés de la manière suivante (9-11) : - le taux d’incidence des ENE est de l’ordre de 3,5/100 000 habitants/an dans la population générale ; - la plupart des patients sont victimes d’un ESPT. Selon les séries, des antécédents de violences, de mauvais traitements et/ou d’abus sexuels dans l’enfance concernent de 40 à 90 % des patients ; - le sex ratio montre une nette prédominance féminine (2 à 3 femmes/1 homme) ; - des scores élevés aux échelles de dissociation, de troubles somatoformes, de ESPT, d’anxiété et de dépression sont constamment retrouvés ; - des antécédents d’hospitalisations en psychiatrie (tentatives de suicide, dépression, abus de toxiques) sont fréquents ; - l’histoire est chronique, caractérisée par une résistance d’emblée aux antiépileptiques ; - un stress émotionnel identifiable, qui doit être recherché, est relié au déclenchement des crises. Les ENE peuvent être induits par la suggestion chez 80 à 90 % des patients, ce qui permet ainsi l’enregistrement d’un événement concluant en vidéo- EEG. La suggestibilité est corrélée à l’existence de troubles dissociatifs12. Certains auteurs proposent ainsi des méthodes de sensibilisation lors de l’enregistrement VEEG (hyperventilation, stimulation lumineuse, injection de placebo…) à des sujets chez lesquels l’imminence d’une crise est par ailleurs fortement suggérée (11,13). Certaines de ces pratiques sont éthiquement discutables : l’injection d’un placebo représente un geste invasif et place le patient en situation de « désaide » si la prise en charge ultérieure consiste simplement à récuser le diagnostic d’épilepsie. Il convient d’insister sur l’importance d’une démarche de soins qui consiste à aider une personne singulière, quel que soit le diagnostic finalement porté. Prise en charge pratique La prise en charge pratique est mal codifiée. Des tentatives de standardisation de l’évaluation et du traitement ont été proposées14. L’intérêt d’une approche multidisciplinaire nous paraît important15. Nous procédons de la manière suivante : après avoir enregistré un ENE spontané en vidéo- EEG, nous proposons au patient de le visionner avec lui, ce qui est quasiment toujours accepté. La visualisation du malaise est en général accompagnée d’une émotion intense. Nous informons le patient que l’enregistrement est réussi et contributif. La négociation de psychogenèse peut débuter : nous indiquons que le malaise enregistré témoigne d’une importante décharge émotionnelle en rapport éventuel avec un événement du passé qui a peut-être été en partie oublié. Cette amorce permet en général d’obtenir du matériel significatif. Plusieurs consultations successives permettent une bonne reconstitution du contexte traumatique. L’aide psychiatrique spécialisée, recommandée à ce stade, est alors acceptée sinon souhaitée, ce d’autant que le patient comprend que les médicaments antiépileptiques n’ont pas d’indication dans ce contexte. Une telle prise en charge a un impact psychothérapeutique significatif. Le traitement antiépileptique est réduit très progressivement, dans un second temps, en fonction des résultats de la prise en charge globale. L’intervention précoce d’une assistante sociale est utile pour analyser le contexte familial et les conditions de vie. Les prises en charge thérapeutiques sont largement empiriques, avec un résultat qui dépend de la durée d’évolution des ENE : plus le trouble est chronique, moins l’efficacité de la psychothérapie sera bonne (6,14,16). ENE et épilepsie, une association fréquente Les ENE sont fréquemment associés à une épilepsie au-thentique (32 % dans une récente série de plus de 1 500 patients (17)). Plusieurs facteurs pourraient rendre compte de la fréquence d’une telle association : - les patients épileptiques souffrent de réactions émotionnelles liées à leur maladie neurologique, ce qui génère des modifications comportementales ou végétatives favorisant la survenue des ENE (anxiété anticipatoire, par exemple) ; - il existe une forte prévalence de troubles mentaux chez les patients épileptiques atteints de syndromes partiels réfractaires, dont certains sont confondus avec des ENE2 ; - les patients épileptiques tirent des bénéfices secondaires en rapport avec leur statut de malade. Ainsi, certains patients guéris chirurgicalement d’une épilepsie temporale peuvent développer dans un second temps des ENE qui sont considérés en l’absence d’enregistrement comme des échecs de la chirurgie. Deux cas particuliers : le sujet âgé et les patients vus aux urgences La survenue de crises pseudoépileptiques chez les sujets âgés est fréquemment observée (avec un taux d’incidence du même ordre de grandeur que celui de la sclérose en plaques dans la population générale) depuis que la vidéo-EEG est utilisée pour faciliter le diagnostic des crises au sein de cette population (18). Les causes diffèrent de celles du sujet jeune : les traumatismes psychiques sont la conséquence de préoccupations somatiques (maladie grave, risque de décès). Enfin, dans les services d’urgence, la durée des manifestations motrices lors des ENE peut en imposer pour un état de mal convulsif avec l’escalade thérapeutique qui en découle, ce d’autant que les benzodiazépines intraveineuses sont inefficaces pour contrôler les pseudo-crises (19). Les traumatismes psychiques sont la conséquence de préoccupations somatiques. Conclusion Tout épisode clinique se répétant avec une fréquence rendant probable son enregistrement lors d’une vidéo-EEG doit pouvoir être enregistré. Les pseudo-crises sont fréquentes et doivent être prises en charge initialement par le neurologue qui les diagnostique.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :