Alzheimer et Démences
Publié le 01 fév 2011Lecture 11 min
Dépression et maladie d’Alzheimer : du diagnostic au traitement
C. PINQUIER, AP-HP,Hôpital Charles Foix,Ivry-sur-Seine
A propos d’une personne atteinte de démence, il peut être dit qu’elle « souffre de la maladie d’Alzheimer » :expression bien sur non spécifique à cette pathologie, mais fréquemment usitée lorsqu’il s’agit de troubles psychiatriques. Ce terme renvoie autant au vécu supposé douloureux qu’à la tolérance de la maladie. Qu’est-ce qu’éprouve le sujet face aux pertes de ses capacités cognitives ? Quelle est son expérience face à la dissolution de ses repères identitaires,temporels, spatiaux, relationnels, alors même que ses facultés à se percevoir malade,et l’expression de ses affects, sont également touchées ? Qu’est-ce qu’il peut transmettre, et suivant quelles modalités ?
Une souffrance inaccessible ? Pour le clinicien, l’évaluation de la souffrance est également complexe pour ces mêmes raisons,auxquelles se rajoutent une absence de consensus sur les signes cliniques de la douleur morale contemporaine d’une démence.Ces différents obstacles expliquent en partie la grande variabilité de la prévalence de la dépression dans la maladie d’Alzheimer. Pour tenter d’améliorer les connaissances dans ce domaine,il paraît légitime de conserver une approche rationnelle en partant des critères diagnostiques de la dépression et en cherchant à circonscrire une symptomatologie qui serait plus spécifique à la maladie d’Alzheimer. Évolution des concepts La démence est connotée péjorativement car elle est associée à la folie,au souvenir de la paralysie générale et à l’enfermement asilaire.Même la reconnaissance de la maladie d’Alzheimer comme une pathologie ayant une physiopathologie et une clinique particulières, n’a pas empêché la connotation négative de se déplacer sur cette nosographie moderne. Ce n’est pas tant l’atteinte de la santé, mais la menace sur l’entendement, qui pose problème avec la perspective d’une mort psychique plus inabordable que le décès en lui-même.L’étiquette Alzheimer condamne toute possibilité de se parler et de se comprendre, le sujet est considéré comme inaccessible à la relation.Le malaise est donc quasi immanent à la maladie et touche dans des registres différents les proches et le sujet lui-même,bien que réputé ne rien pouvoir percevoir de ses troubles.En effet, les patients répètent à qui veut bien les entendre: « Je ne suis pas fou… Je ne perds pas la tête ».Ils veulent ainsi s’assurer que leur parole a toujours du sens,que la parole leur sera toujours adressée et qu’ils ne seront pas regardés comme n’étant plus responsables de leurs actes.Cela trahit leur inquiétude face à leur perception d’un dysfonctionnement interne qui pourrait se dévoiler malgré eux. Prise en compte de la symptomatologie psychiatrique Il est intéressant de noter qu’initialement la nosographie n’a pas pris en compte les manifestations psychiatriques rencontrées dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer. En effet jusqu’au début des années 1990,seuls les signes neurologiques étaient retenus comme critères diagnostiques. Depuis, l’attention s’est portée sur cette symptomatologie psychiatrique. Certains auteurs en parlent d’ailleurs comme d’un deuxième groupe de symptômes faisant partie intégrante de la maladie d’Alzheimer (1).À côté de l’apathie, de l’agitation et de l’agressivité, les symptômes dépressifs font partie des signes comportementaux et psychiques de la démence les plus fréquents rencontrés dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer. Les troubles de l’humeur en questions Pour permettre de mieux connaître la participation de cette symptomatologie dépressive dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer,les études se sont naturellement tournées vers le groupe nosographique des troubles de l’humeur.Il a été montré que leur présence a des répercussions négatives sur le pronostic :aggravation du déficit cognitif,participation à la perte d’autonomie,augmentation du risque de mortalité.Par ailleurs,il est estimé qu’environ 30 à 50% des sujets atteints de la maladie d’Alzheimer ont un ou des symptômes dépressifs (2). Cette grande variabilité tend à montrer qu’il est difficile d’établir un diagnostic de dépression et soulève la question de la pertinence de critères cliniques issus de données statistiques collectées dans une population générale indemne de pathologie cognitive. Un diagnostic difficile Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer la difficulté diagnostique d’un trouble dépressif. • Il existe un chevauchement de certains signes cliniques entre ceux du registre dépressif et ceux attribuables à la pathologie démentielle elle-même (diminution de la concentration/perte de mémoire, irritabilité/agitation, insomnie/troubles de la vigilance). • Son expression clinique serait dépendante de l’atteinte cognitive,influencée par le degré de sévérité de la maladie d’Alzheimer et,en l’état actuel des connaissances,les données de la littérature sont contradictoires :soit la prévalence de la dépression reste la même quel que soit le degré de sévérité de la démence3,soit elle est plus fréquente dans les stades légers et modérés (4),soit elle est plus souvent retrouvée précocement et tardivement dans l’évolution de la maladie d’Alzheimer (5). • Certains symptômes rencontrés classiquement dans la dépression seraient en fait des troubles comorbides indépendants, comme cela a été décrit pour l’apathie. Face à ces difficultés,plusieurs pistes se sont développées afin d’améliorer la reconnaissance de la dépression. Intérêt et limites de l’approche catégorielle Pour améliorer l’homogénéité des signes cliniques de la dépression dans la maladie d’Alzheimer, des experts réunis dans le cadre de l’Institut national de santé mentale des États-Unis (NINH) ont proposé des critères standardisés provisoires,dérivés de ceux du DSM-IV (6) pour les épisodes dépressifs majeurs en y apportant quelques modifications : – quantitative : il faut 3 symptômes au moins,et non plus 5,sans que ces symptômes ne soient nécessairement présents tous les jours ; – qualitative :l’item « perte de plaisir au contact social » remplace celui de « perte d’intérêt », et il a été ajouté d’autres signes à savoir :l’irritabilité, la tendance au repli sur soi et l’isolement social. Ces changements référentiels entraînent cependant une perte de spécificité et donc un diagnostic de dépression porté en excès (surtout dans les stades sévères de la maladie d’Alzheimer). De plus, certains auteurs considèrent que l’irritabilité est un trouble comorbide au même titre que l’apathie,et donc à dissocier du registre de la dépression (3). Enfin, cette approche catégorielle ne prend pas en compte d’autres formes cliniques que l’état dépressif majeur. Développement de l’approche dimensionnelle Compte tenu du fait que la symptomatologie dépressive est fréquente dans la maladie d’Alzheimer,qu’elle a des répercussions sur l’autonomie et la cognition et que l’expression des affects peut s’altérer au cours de l’évolution, d’autres auteurs proposent de recourir à une approche dimensionnelle pour la repérer en distinguant la dépression mineure et les symptômes psychiatriques associés. La dépression mineure S.E. Starkstein propose d’utiliser le concept de dépression mineure, compte tenu de ses répercussions sur la qualité de vie et sur la dépendance, ainsi que de sa prévalence (26 %) identique à celle de la dépression majeure et ce, quel que soit le stade de la maladie d’Alzheimer (3). Les symptômes psychiatriques associés Les échelles diagnostiques permettent de caractériser la nature et l’extension des symptômes qui sont associés à la dépression.Des symptômes psychiatriques ont été ainsi décrits comme fréquemment associés à la dépression majeure et principalement les idées délirantes, l’anxiété, la labilité de l’humeur,l’apathie et un parkinsonisme (3).Quand une tristesse est présente, les autres symptômes les plus souvent associés sont alors les idées de culpabilité, les idées de suicide, le manque d’énergie, l’insomnie, la perte de poids et le ralentissement ou l’excitation3. Dans ce registre,il est probable que certaines thématiques délirantes (sentiment de rejet ou de manipulation extérieure, fantasmes d’éternité,propos projectifs autour de la saleté et de la dégradation) pourraient être des manifestations en lien avec une problématique dépressive sous-jacente. Le suicide Concernant le risque suicidaire dans la maladie d’Alzheimer,un passage à l’acte est tout à fait possible,même si sa prévalence est faible (moins de 1 %). Les suicidants représentent entre 6 et 12 % des patients atteints d’Alzheimer admis sur deux services de géronto-psychiatrie (7,8).Outre une symptomatologie dépressive, il est souvent retrouvé des idées délirantes de persécution. Quelles modalités thérapeutiques ? La décision de prescrire un antidépresseur est aussi difficile que d’affirmer le diagnostic de dépression. Quand soigner ? La prescription d’un antidépresseur ne devrait pas en tout cas être motivée par une démarche de test thérapeutique. Il paraît préférable de traiter en tenant compte des arguments cliniques, du degré d’inconfort et de répercussions sur la qualité de vie et bien sûr du rapport bénéfice/risque de la prescription. Comment soigner ? Le choix de l’antidépresseur se fait en visant la moindre nocivité,donc a priori en utilisant un inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine. Il est à noter que la littérature est peu abondante sur ce sujet et que les résultats sont mitigés.Une revue de la littérature portant sur la période 1966-2006 a ainsi retrouvé 5 études bien construites (en double aveugle, antidépresseur versus placebo) et seulement deux d’entre elles retrouvaient une supériorité de l’AD sur le placebo (9). L’électroconvulsivothérapie peut avoir une utilité dans certaines indications (sévérité de la dépression,contre-indication aux antidépresseurs,résistance aux antidépresseurs), mais il y a un risque important de confusion et une suspicion d’aggravation cognitive (10). Les thérapies non médicamenteuses sont à développer de la même façon que dans la prise en charge des troubles envahissants (par défaut ou par choix). Terra incognita Les modalités d’expression des affects dans le cadre de l’évolution d’une maladie d’Alzheimer ne peuvent se réduire à un tableau uniforme. De nombreux facteurs influencent la symptomatologie clinique et notamment l’histoire de vie du sujet, sa personnalité, sa place dans la famille, la perception de sa maladie et son cadre de vie. La question de la souffrance psychique s’exprimant dans le cadre de l’évolution d’une maladie démentielle reste encore soumise à de nombreuses inconnues.Le recours à des références classiques permet d’en dégager les conséquences pronostiques et donc l’importance de s’en préoccuper. Cependant,il semble primordial de renoncer à certains stéréotypes pour tenter d’approcher l’expression affective qui est probablement multiple et propre à chaque sujet.Nous pourrions ainsi distinguer : une clinique plutôt expressive et proche du tableau dépressif classique bien qu’infiltrée par le déficit cognitif (labilité émotionnelle,délire,excitabilité) et répondant bien au traitement antidépresseur ; une clinique moins parlante, proche de la dépression blanche décrite chez les nourrissons, se manifestant par un état régressif, une aggravation apparente à la démence,potentiellement réversible. Elle procèderait d’une forme de défense contre un effondrement psychique majeur. un continuum de diverses situations d’inconfort psychique réactionnel aux différentes carences qui jalonnent la vie d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer et dont la traduction clinique peut aller d’une apathie à une grande crise d’agitation sans cause apparente.Dans le même ordre d’idée, il est légitime d’être attentif à toutes situations d’épuisement et de souffrance de l’entourage ou des soignants qui pourraient être en lien avec une perception indirecte de la douleur psychique du sujet malade.
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