Publié le 24 jan 2007Lecture 10 min
Tics et syndrome de Gilles de la Tourette : du diagnostic au traitement
J.-L. Houeto, service de Neurologie et CMRR. CHU Poitiers, Poitiers
La première description du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) revient à Jean-Marc Itard qui en 1825 (1) rapporta le cas d’une patiente âgée de 26 ans, la Marquise de Dampierre, dont l’affection avait débuté à l’âge de 7 ans. Étaient notamment décrits « des spasmes involontaires convulsifs, des contorsions » auxquels participaient « les muscles des épaules, du cou et de la face ». Plus tard, cet auteur fut étonné par la « propagation » des spasmes « aux organes de la voix et de la parole », faisant produire à la patiente « des cris bizarres et des mots qui n’avaient aucun sens, mais sans délire et sans trouble des facultés mentales ». Soixante ans plus tard, George Gilles de la Tourette2, un élève de Charcot, inclut la même observation parmi les 9 cas qu’il rapporta.
Des pistes génétiques, toxiques et infectieuses Les tics sont présents dans tous les pays, toutes les cultures et toutes les ethnies. Leur prévalence varie selon les caractéristiques de la population étudiée, les critères diagnostiques utilisés et les méthodes d’évaluation. Ainsi, une étude effectuée dans le Nord de l’Italie, trouve une prévalence de 4,4 % chez les garçons et de 1,1 % chez les filles parmi 2 347 enfants en classe primaire (3). Cette prévalence peut atteindre 18,5 % en cas d’examen clinique systématique en milieu scolaire (4). La cause des tics et/ou du syndrome de Gilles de la Tourette est inconnue. Un réarrangement chromosomique impliquant le gène SLITRK1 a été récemment identifié comme facteur causal chez un patient (5). Des facteurs de risque gestationnels ou périnataux, toxiques (exposition aux androgènes, cocaïne et autres psychostimulants) ainsi que des infections streptococciques récurrentes, à l’origine d’une réponse immunitaire anormale, ont également été incriminés (6). Au plan physiopathologique, de nombreux arguments expérimentaux plaident pour la contribution d’un dysfonctionnement sélectif des noyaux gris centraux impliquant les circuits striato-pallido-thalamo-corticaux limbique et associatif (7-9). Tics moteurset vocaux Les tics moteurs sont des mouvements soudains, brefs, intermittents, involontaires ou semi-volontaires. Ils vont de mouvements simples (clignement d’un œil ou tic moteur simple), à des comportements plus complexes, telles des séquences motrices ou gestuelles normales, évoquant des mouvements volontaires, mais dont les caractères intenses et inappropriés sont remarquables (tics moteurs complexes) (5,10-12). Aux tics moteurs peuvent être associés des tics vocaux simples (cris, raclement de gorge, grognement, etc.) ou complexes. Cette dernière catégorie — appelée coprolalie— comporte des verbalisations, voire des hurlements obscènes appartenant volontiers à un champ lexical à connotation sexuelle, religieuse ou évoquant des émissions de sécrétions corporelles10-12. Une description phénoménologique des tics est résumée dans le tableau 1. Une questionde volonté ? Plusieurs critères sémiologiques permettent de reconnaître un tic (tableau 2) (5,11,13). Les tics peuvent être transitoirement supprimés par la volonté, au prix d’un effort mental important, source de tension interne et de stress (sensation prémonitoire)14, qui sont inévitablement suivis d’une résurgence — souvent explosive — du tic en rafale. Le caractère suppressible du tic permet de le distinguer d’autres mouvements anormaux comme la chorée, le myoclonus ou la dystonie. Circonstances aggravantes et facteurs apaisants Les tics sont volontiers exacerbés lorsque les patients doivent se produire en public, ils sont rares pendant la consultation médicale, et peuvent ou non persister à tous les stades du sommeil. Ils sont aggravés par l’anxiété, les excitants, et atténués par la concentration, le plaisir sexuel, l’alcool et lors de la relaxation. Lorsqu’un nouveau tic lui est suggéré le patient peut l’incorporer à son répertoire de tics (suggestibilité) et le produire pendant quelques semaines ou mois. Des tics variables dans le temps Un tic peut, chez un patient donné, apparaître pendant quelques mois ou semaines puis disparaître et céder la place à un autre tic. Les tics surviennent souvent en rafale selon un décours temporel de l’ordre de la journée, puis de la semaine et du mois. Conséquemment, ils ont une évolution fluctuante et rémittente avec des périodes d’aggravations succédant à des périodes au cours desquelles le tic est atténué (5,13). Le syndrome de Gilles de la Tourette En raison de l’influence de la littérature anglo-saxonne, le vocable syndrome de Gilles de la Tourette est souvent utilisé pour désigner la maladie de Gilles de la Tourette (MGT). Signalons toutefois qu’en raison de la comorbidité psychiatrique associée, les limites nosologiques de l’affection peuvent être floues, ce qui pourrait justifier l’usage du vocable syndrome de Gilles de la Tourette. Il convient cependant de ne pas méconnaître la possibilité d’autres étiologies (voir infra). La maladie de Gilles de la Tourette est l’une des causes les plus fréquentes de tics. Les critères diagnostiques sont indiqués dans le tableau 3. La pertinence du point n° 3 de ces critères, qui tient à l’évaluation de la sévérité de l’impact du tic sur la qualité de vie, est débattue. L’affection débute typiquement vers 6-7 ans, par des tics faciaux, suivis quelques mois ou semaines après de tics vocaux. Avec l’évolution, les symptômes initiaux laissent la place à des tics plus ou moins complexes. La sévérité de l’affection est habituellement maximale pendant la deuxième décade puis elle décroît après l’âge de 20 ans (5,11,13). Une proportion de patients présente cependant une forme sévère, confinant dans les formes les plus caractéristiques, à l’association de tics moteurs et vocaux simples et complexes, d’automutilations et de troubles comportementaux variables. Troubles comportementaux et psychopathologies associés De nombreux troubles comportementaux sont décrits dans le SGT5,15-19. Il importe de bien les connaître car ils déterminent la morbidité de l’affection et contribuent à l’altération de la qualité de vie des patients et à une insertion sociale plus incertaine (5). Les comportements répétitifs : un spectre allant des tics complexes aux troubles obsessifs-compulsifs ? De nombreux patients rapportent des manifestations sensorielles accompagnant ou précédant la réalisation des tics14. Il s’agit souvent d’une sensation de tension interne — sensation prémonitoire ou un besoin impérieux de bouger — parfois plus gênant que le tic lui-même et qui est soulagé par la réalisation des tics (15-17). La brièveté de ce soulagement pourrait alors rendre compte de la répétition de certains tics (15) jusqu’à une sensation de complétude « just right feeling » (16). L’absence d’anxiété associée à de tels comportements permet classiquement de les distinguer d’une compulsion, qui vise elle à neutraliser l’anxiété15-19. D’où l’hypothèse que les comportements répétitifs du SGT s’inscrivent dans le cadre d’un spectre clinique — selon la nature de l’expérience subjective qui leur est associée — allant des tics complexes aux symptômes obsessifs-compulsifs (19). Automutilations : forme ultime de tics ? Les automutilations constituent un symptôme caractéristique du SGT5, (20) (tableau 4), sont corrélées principalement avec la sévérité des tics — ce qui suggère qu’il s’agit peut-être d’une forme ultime de tics — mais également avec la présence d’une psychopathologie (21) ainsi que des antécédents de syndrome d’hyperactivité et de trouble de l’attention (5). Le THADA et autres troubles du comportement Alors que seulement 3 à 6 % des enfants d’âge scolaire présentent un syndrome trouble hyperactif/déficit attentionnel (THADA), cette affection touche 21 à 90 % des patients avec SGT5. La présence du THADA serait corrélée avec la sévérité et la psychopathologie du SGT5,20,21. La prévalence des troubles de l’humeur et anxieux (hors TOC) est élevée dans le SGT21. Ces complications associées au SGT, sont probablement d’origine multifactorielle (caractère chronique et sévère de la maladie et des difficultés sociales, effets secondaires de certains traitements) (5). Les autres troubles comportementaux décrits dans le SGT comprennent — entre autres — une agressivité, des crises de rage, un comportement antisocial, la paraphilie (18,21). Quels diagnostics différentiels (5,20,22) ? Les tics simples peuvent être confondus avec des myoclonies, et les tics complexes avec une chorée, un syndrome dystonique. Aucun de ces mouvements anormaux ne s’accompagne d’une sensation prémonitoire, voire d’une coprolalie, ou n’est volontairement suppressible par la volonté, comme c’est le cas des tics. Chez des patients avec retards mentaux, ou des sujets autistes, des stéréotypies peuvent être difficiles à distinguer de tics complexes. Dans ces situations, la présence de coprolalie est alors d’une grande aide pour le diagnostic de tics. En règle, l’examen clinique d’un patient avec une maladie de GT est normal. Un examen anormal doit inciter à évoquer une autre cause, ce qui suggère que l’ensemble des manifestations associées aux tics représente un syndrome au sein duquel on trouve la maladie de Gilles de la Tourette et d’autres affections (tableau 5). Quelles thérapeutiques ? Le traitement des tics, en particulier dans les formes les plus sévères, est difficile et requiert une approche multidisciplinaire associant information de l’entourage, thérapies comportementales, soutien du milieu associatif et thérapies pharmacologiques. Le préalable au traitement est d’identifier le symptôme (ou la comorbidité) interférant le plus avec la qualité de vie du patient, puis de le traiter en s’aidant de thérapies médicamenteuses et non médicamenteuses. Un schéma des possibilités thérapeutiques des tics est proposé dans le tableau 6. Les traitements pharmacologiques (5,11,23-27) - Antagonistes dopaminergiques Le pimozide et l’halopéridol (23), mais également le tiapride et les phénothiazines comptent parmi les anti-tics les plus utilisés5. S’ils sont efficaces sur les tics, ces neuroleptiques dits classiques peuvent donner des effets secondaires — sédation, prise de poids, aménorrhée, galactorrhée et gynécomastie, dysphorie, dépression et dyskinésies tardives — et on leur préfère actuellement les neuroleptiques dits atypiques tels que la rispéridone (24), l’olanzapine (25), l’aripiprazole. La tétrabénazine qui déplète les vésicules monoamines en présynaptique et bloque en post-synaptique des récepteurs dopaminergiques agit comme un neuroleptique— sans provoquer de dyskinésies tardives — et possède un bon effet anti-tic. Son usage est cependant limité par la sédation et un syndrome dépressif dose dépendante (5). - Agonistes dopaminergiques Les agonistes dopaminergiques, dont le pergolide et le ropinirole, ont apporté dans des études contrôlées une amélioration des tics de 40 à 50 %. Le mécanisme de leur effet thérapeutique n’est pas connu (5). - Agoniste GABAergique Au sein de cette classe thérapeutique, seul le clonazépam a fait la preuve de son intérêt (5). - Agoniste a2- adrénergique La clonidine et la guanfacine peuvent améliorer autant les tics moteurs et phoniques que certains troubles comportementaux. Le bénéfice de ces traitements est décalé de quelques semaines et leur usage peut s’accompagner d’une sédation et d’une hypotension, souvent mal tolérées par les plus jeunes patients (5). - La toxine botulique La toxine botulique a une action locale, mais est parfois utile pour limiter la sévérité d’un ou plusieurs tics moteurs (forme clonique ou dystonique) et permet de supprimer les sensations prémonitoires associées aux tics26. - Autres traitements (5) Le cannabis et ses dérivés (tétrahydrocanabinoïde), les gommes et patchs de nicotine sont des anti-tics. De fortes doses d’inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (plus ou moins associé au lithium ou à la rispéridone) sont souvent utiles pour traiter les troubles obsessifs–compulsifs lorsqu’ils sont associés aux tics alors que la ritaline ou l’atomoxétine sont indiquées pour le traitement du THADA. La stimulation cérébrale Récemment, la stimulation cérébrale profonde à haute fréquence de la zone associativo-limbique au sein du thalamus (27) ou du pallidum a permis d’améliorer les automutilations de 100 % et les tics de 70 %28. Ces résultats très prometteurs confirment la contribution d’un dysfonctionnement associativo-limbique striato-pallido-thalamo-cortical (voir supra) (7-9).
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