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Neuropathie

Publié le 04 fév 2025Lecture 8 min

Neuropathie diabétique douloureuse : nouvelles démarches cliniques, nouvelles prises en charge

Agnès HARTEMANN, service de diabétologie, GH Pitié-Salpêtrière, Paris

Avec les recommandations sur l’utilisation du monofilament pour grader le risque podologique, la neuropathie sensitive a pris le dessus en pratique clinique, et a fait quelque peu oublier la neuropathie dite « douloureuse » (appelée aussi la neuropathie des petites fibres). Pourtant cette complication a un impact majeur sur la qualité de vie, et de nouvelles thérapeutiques peuvent être proposées.

Les nerfs périphériques ont deux formes de souffrance   La perte des fibres (qui peut être constatée sur une biopsie sous-cutanée avec un marquage spécifique, mais peu disponible en pratique). Cette perte va entraîner une perte de fonction. Par exemple, perte de la sensation thermique, perte de la sensation algique, perte de la proprioception… À l’inverse, une hyperactivité (hyperexcitabilité) des fibres, avec « gain de fonction ». Cette hyperactivité est liée à la dysfonction des canaux ioniques de la membrane du nerf. Il y a une activation spontanée, itérative, intempestive du flux nerveux, qui provoque des sensations de brûlure, de picotement, de décharge électrique…   Deux autres sortes de fibres peuvent subir la perte et/ou l’hyperactivité Les grosses fibres myélinisées appelées A α et Aβ qui peuvent être étudiées en électromyogramme. Les petites fibres amyéliniques (C) et faiblement myélinisées (Aδ) qui ne sont pas étudiables en électromyogramme. S’il y a une raréfaction des grosses fibres avec perte de fonction, on observera une abolition des réflexes, une diminution de la sensibilité au toucher, à la pression, à la vibration, à la proprioception (figure 1). Figure 1. Signes et symptômes d’une perte de fonction des grosses et des petites fibres.   S’il y a une raréfaction des petites fibres, on observera une perte de fonction avec une diminution de la sensibilité à la douleur, une diminution de la perception du chaud et du froid, une diminution de la sensibilité aussi à la pression (figure 1). En revanche, s’il y a une hyperexcitabilité des grosses fibres, on observera une sensation caractéristique décrite par le patient : une allodynie au frottement, dite encore allodynie mécanique. C’est la sensation de brûlure provoquée par une caresse ou le simple contact d’un drap (figure 2). Figure 2. Signes et symptômes d’une hyperexcitabilité des grosses et petites fibres.   S’il y a une hyperexcitabilité des petites fibres, le patient se plaindra de ressentir des piqûres, un froid douloureux, des sensations de brûlure, une allodynie déclenchée par le froid ou le chaud, une démangeaison, une hyperalgésie (exagération d’une sensation habituellement un peu douloureuse) (figure 2). Les décharges électriques peuvent traduire une hyperexcitabilité des deux sortes de fibres.   Conséquences de l’hyperexcitabilité Bien sûr, ce sont les douleurs décrites ci-dessus, mais on sait maintenant que cette hyperexcitabilité a aussi des effets au niveau médullaire, où l’on observe une perte de la fonction inhibitrice de la douleur par certaines fibres. Cette hyperexcitabilité retentit aussi au niveau cérébral. Il est classique de dire que les patients ayant des douleurs de neuropathie ont davantage de syndromes dépressifs, d’anxiété, et de troubles du sommeil. On considère habituellement que ces troubles sont secondaires au fait d’avoir une douleur chronique. Mais on a observé que la fréquence et la durée de ces troubles anxio-dépressifs sont beaucoup plus importantes que ce qui se passe pour des douleurs chroniques de même intensité, mais d’une autre origine (par exemple, pour des douleurs articulaires chroniques). On comprend donc maintenant qu’il y aurait un cercle vicieux entre la périphérie et le cerveau qui serait spécifique de cette douleur neuropathique. Celle-ci entraînerait davantage de dépression, d’anxiété et de troubles du sommeil, et inversement ces troubles augmenteraient la sensation douloureuse.   L’histoire de la neuropathie commence-t-elle par l’hyperactivité douloureuse puis la perte des fibres et des fonctions ? En fait, tout serait possible, il n’y a plus de dogme.   Combien de patients ont une des deux neuropathies ou les deux ? Ça dépend de la population étudiée et des outils utilisés. Dans une étude avec 232 patients DT1 et DT2, d’âge moyen de 63 ans, il a été observé une perte de fonction et de densité des fibres chez 54 % des patients, une hyperexcitabilité des fibres chez 15 % et la présence à la fois d’une hyperexcitabilité et d’une perte de fonction chez 31 %.   Comment confirmer le diagnostic de neuropathie ?   La neuropathie par perte de fonction se diagnostique par un examen clinique (voir la perte des sensibilités énumérée plus haut). L’électromyogramme ne sera anormal que si la perte de fonction concerne les grosses fibres. Il n’est habituellement pas nécessaire au diagnostic si la perte de fonction s’est installée progressivement, si elle concerne les 2 pieds de manière symétrique et que les membres supérieurs ne sont pas concernés. Dans le cadre de la recherche, on peut demander une biopsie cutanée à la cheville qui permet d’observer avec des marquages particuliers une raréfaction des petites fibres dans l’épiderme et dans le derme. La microscopie cornéale confocale permet aussi d’observer une perte des petites fibres. C’est une traduction indirecte de la perte des petites fibres au niveau des membres inférieurs. Cet examen n’est pas de pratique courante.   Pour faire le diagnostic d’une hyperexcitabilité (appelée encore neuropathie douloureuse) Le diagnostic est à nouveau clinique (voir les signes énumérés plus haut). Il faut dépister ces patients au moins une fois par an avec un screening d’interrogatoire et un examen clinique. Pour le screening clinique, nous pouvons utiliser le questionnaire DN4 : si le score est ≥ 4, nous pouvons affirmer la présence d’une neuropathie douloureuse (hyperexcitabilité des fibres) avec une sensibilité de 83 % et une spécificité de 90 % (figure 3). Figure 3. Questionnaire DN4.   L’EMG est normal. Il est inutile pour le diagnostic positif de neuropathie douloureuse.   Une fois le diagnostic posé, il faut évaluer le niveau de la douleur sur une échelle de 10 Si la douleur est > 3 sur une échelle de 10, il faut débuter un traitement. Si elle est < 3, il est inutile de proposer un traitement médicamenteux. À noter que les dysesthésies, les paresthésies comme les fourmillements, sensations désagréables, mais non douloureuses, ne seront pas diminuées par les traitements antalgiques de la neuropathie douloureuse. Lorsque nous avons dépisté les patients et commencé un traitement de 1re ligne, il est important d’adresser ces patients à des spécialistes de la douleur qui les phénotyperont de manière fine et leur proposeront des traitements adaptés à leur cas particulier.   Quand douter du diagnostic ? Lorsque les signes se sont installés très rapidement et/ou de manière asymétrique, et/ou avec un déficit moteur sévère et/ou la présence d’une atteinte proximale, il faut remettre en question le diagnostic de polyneuropathie diabétique et adresser les patients en neurologie. Par ailleurs, souvent nous avons affaire à des patients âgés ayant des diagnostics intriqués de douleurs, par exemple, radiculopathie cervicale ou dorsale ou lombaire associée. Dans ce cas, il est intéressant d’avoir un électromyogramme ou de faire une IRM médullaire. Il existe aussi des neuropathies post-AVC, des neuropathies dans le cadre d’une maladie de Parkinson, ou post-chimiothérapie. La douleur peut être aussi intriquée avec des douleurs d’arthrose des genoux ou des douleurs d’AOMI.   Quel est l’intérêt du SUDOSCAN ? Le SUDOSCAN étudie l’innervation des glandes sudoripares et pas directement les petites fibres. Ce sont les fibres du système nerveux autonome qui sont explorées par cet examen. À noter qu’une mesure anormale au niveau des pieds prédit une raréfaction des petites fibres avec une sensibilité à 80 % et une spécificité à 70 %. Le SUDOSCAN peut-il diagnostiquer l’hyperexcitabilité sans perte de fibre ? La réponse actuelle est non.   D’où viennent les neuropathies de perte de fonction et celles d’hyperexcitabilité ? Les facteurs de risque sont-ils les mêmes dans le diabète de type 1 et le diabète de type 2 ?   Ce sont surtout les facteurs de risque de la neuropathie sensitive (perte de fonction) qui ont été étudiés. Dans le DT1 et le DT2, on retrouve l’HbA1c, la durée du diabète, le poids, le tabac, la rétinopathie, l’antécédent de maladies cardio-vasculaires. Dans le DT2, on observe en plus comme facteur de risque le sexe masculin et la grande taille. Dans le DT2, tous les marqueurs du syndrome métabolique semblent jouer un rôle important dans la perte de fonction. La neuropathie sensitive est d’ailleurs présente dans le prédiabète de type 2, ce qui montre bien qu’elle ne dépend pas que de la glycémie.   Les facteurs de risque sont-ils les mêmes pour la perte de fonction et pour l’hyperexcitabilité ? Il a été montré dans une étude dans le diabète de type 1 que les femmes développeraient plus de neuropathie par hyperexcitabilité (neuropathie douloureuse) sans qu’il y ait d’explication claire. C’est le seul facteur de risque différent identifié par rapport à la neuropathie sensitive.   Équilibrer le diabète permet-il de diminuer l’hyperexcitabilité et la douleur ? Il n’en est rien ! C’est même l’inverse ! L’équilibre rapide du diabète peut déclencher une hyperexcitabilité hyperalgique. Celle-ci était anciennement appelée « névrite insulinique », mais on peut l’observer, quels que soient les moyens utilisés pour faire baisser la glycémie (régime, mise sous ADO, analogue du GLP1, mise sous pompe connectée…). Cette hyperexcitabilité observée à l’équilibre rapide du diabète est probablement fonctionnelle et la plupart du temps réversible après plusieurs mois.   Que faire avec un patient atteint de neuropathie douloureuse ? Nous aborderons le traitement médicamenteux en 2e intention. Il faut d’abord : – l’écouter, lui expliquer qu’on a compris les causes de sa douleur, même s’il n’y a pas de signes cliniques objectifs, le soutenir et l’accompagner ; – toujours dans ce cadre, dépister la dépression et la traiter ; – l’aider à arrêter de fumer ; – éviter la prise de poids, et il semblerait que la mise à l’activité physique puisse retarder la perte des fibres.   Prise en charge médicamenteuse de la neuropathie douloureuse Les nouvelles recommandations françaises sont parues en 2020 (figure 4). Les nouveautés sont : Si la douleur est localisée, utiliser en 1re intention un traitement local. Soit des emplâtres de lidocaïne vendus en pharmacie. Sinon, adresser le patient en centre de prise en charge de la douleur pour qu’il puisse bénéficier du Tenz ou des patchs de capsaïcine. Figure 4. Traitements pharmacologiques et non pharmacologiques de la douleur neuropathique : une synthèse des recommandations françaises (Référence : Moisset X et al. Douleur Analg 2020 ; 33).   Si la douleur est très étendue, commencer par un traitement médicamenteux, mais pas par la prégabaline (qui ne se donne qu’en 2e ligne). Il n’est pas utile de monter à la dose maximale du même médicament. S’il a été efficace (EVA diminuée de plus de 2), mais insuffisant, il vaut mieux associer deux principes différents à dose moyenne. Si la douleur reste > 3 en EVA, il faut adresser le patient en centre de prise en charge de la douleur. La neuromodulation (stimulation médullaire) est un traitement très efficace, en cours de développement.

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