Publié le 20 déc 2010Lecture 13 min
Encéphalite virale : les virus émergents bouleversent l’épidémiologie en Europe et aux États-Unis
E. BRISELET, O. PATEY, J. BREUIL, CHI de Villeneuve-Saint-Georges
L’émergence du virus west nile (VWN) sur la côte ouest des États-Unis, suivie de sa dispersion à travers tout le pays, a montré que les infections virales du système nerveux central (encéphalites, méningoencéphalites voire méningites) restaient dans les pays développés un problème majeur de santé publique. On s’est également aperçu, pour l’occasion, que d’autres virus mal connus rendaient aussi compte du fait que l’incidence des pathologies nerveuses virales dépassait largement celle de toutes les autres causes infectieuses confondues (bactéries, levures et protozoaires). Ni les États-Unis, ni l’Europe ne paraissent à l’abri d’un virus à tropisme neurologique qui pourrait se répandre rapidement et faire des milliers, sinon des millions de cas. Cette revue propose un état des lieux des principaux d’entre eux pour ces deux « régions ».
Les virus « classiques » des encéphalites (hors VIH) Les entérovirus Soixante-huit sérotypes d’entérovirus ont été décrits, dont 65 non polio. Les membres du genre entérovirus, dans la famille des Picornaviridæ, comprennent les trois poliovirus, 23 coxsackies virus du groupe A et 6 du groupe B, et quatre virus non groupés. Les hommes sont le seul réservoir naturel de ces virus ; la transmission est donc interhumaine, essentiellement oro-fécale. Certains entérovirus (dont EV71 à fort potentiel épidémique) sont aussi transmis par voie aérienne ; une transmission verticale est possible. L’épidémiologie des entérovirus est mouvante. Si deux sérotypes, les échovirus 9 et 30 associés à des épidémies de méningite aseptique comptaient pour plus de la moitié des détections d’entérovirus aux États-Unis en 2003, c’étaient deux autres, les échovirus 18 et 13 qui dominaient quelques années auparavant. En pratique, la répartition des entérovirus est universelle et mondiale. Les biologistes trouvent ces virus quand ils disposent des moyens de les mettre en évidence et il est clair que des épidémies peuvent se déclarer dans n’importe quel point du monde (épidémie d’entérovirus E71 à Hong-Kong en 2004, etc.). En France, 10 sérotypes principaux circulent (échovirus 11, 6, 9, 30, 5 et 4, et coxsackies virus B5, B1, B3 et B4) ; les diagnostics se font dans 59 % des cas à l’occasion d’une localisation méningée (données de l’Institut de veille sanitaire). Très soumises aux aléas climatiques, les épidémies se déclarent plutôt à l’automne en zone tempérée. Tous les sérotypes ne circulent pas au même moment dans une région, des variants théoriquement rares peuvent émerger (ex : des échovirus 13 et 18, responsables de méningites aux États-Unis en 2000). Les entérovirus sont la cause la plus fréquente de méningite virale dans les régions tempérées, touchant essentiellement les enfants avant 1 an et entre 5 et 10 ans, avec un pic au mois de juin. Quels que soient les signes cliniques (sémiologie pauvre pour les plus jeunes ou riche en cas de méningoencéphalite chronique, à échovirus 11 en particulier), l’évolution est quasiment toujours bénigne (exception faite pour les bébés de moins de 2 semaines). Le développement des techniques de diagnostic moléculaire a permis d’améliorer nos connaissances des pathologies dues aux entérovirus. Ceux-ci rendent compte de 10 à 20 % des cas d’encéphalite virale. Les coxsackies A sont très prédominantes. L’entérovirus EV71 peut donner des tableaux de rhombencéphalites infantiles ou une maladie biphasique, dans laquelle les signes neurologiques sont précédés d’un syndrome pied-main-bouche ou d’une herpangine ; on observe des séquelles dans plus de 15 % des cas (1). Les entérovirus sont la cause la plus fréquente de méningite virale dans les régions tempérées. La rage Le virus rabique est encore responsable de 40 000 décès par an dans le monde. Aux États-Unis, deux ou trois cas en moyenne ont été rapportés chaque année lors de la dernière décennie par les CDC, majoritairement dus à des virus adaptés aux chauves-souris et non plus aux chiens errants ; en même temps les cas cryptiques (absence de facteurs de risque clairs) ont fortement progressé. De véritables épidémies d’infections à variant chiroptère ont aussi été décrites au Brésil ou au Pérou. Le virus rabique est encore responsable de 40 000 décès par an dans le monde. Ailleurs dans le monde et particulièrement dans les pays en développement, la rage est encore transmise par les chiens, errants surtout. Certains pays comme la Chine restent très touchés : 1 874 cas entre janvier et août 2006, 443 décès dans le seul Hunan en 20062, ce qui pose le problème d’une éventuelle vaccination préexposition. À l’exception de quelques cas importés, la rage humaine a disparu de France depuis 1924, mais des chauves-souris porteuses ont été retrouvées. L’infection rabique se présente comme une encéphalomyélite succédant à une période d’incubation de 20 à 60 jours (extrêmes de 5 jours à 7 ans). On rappellera que la phase neurologique de l’infection admet deux présentations : forme furieuse avec agitation, désorientation, hallucinations, etc., et forme paralytique caractérisée par une fièvre, des paralysies ascendantes et un coma terminal. Malgré quelques récentes publications américaines spectaculaires, il n’existe pas de traitement spécifique reconnu pour le moment. Le virus influenza L’encéphalite est une complication rare de l’infection à virus influenza A et B. Sa physiopathologie est mal connue, la détection occasionnelle mais précoce d’ARN viral dans le LCR évoque un rôle direct des virus. L’infection débute comme une grippe typique avec apparition à J1-J4 de troubles de la conscience, convulsions, phrases abbérantes (influenza B), réflexes cutanés plantaires anormaux. Le coma, voire une défaillance polyviscérale, est possible avec le virus influenza A. Les enfants sont plus à risque que les adultes : 80 % des cas d’encéphalites les concernaient lors de l’épidémie japonaise saisonnière de 19993. Les virus du groupe Herpès On ne fera ici qu’évoquer l’encéphalite herpétique, la plus fréquente des encéphalites gravissimes en France avec 1 cas pour 250 à 500 000 habitants, toujours due à HSV1 et sans tendance épidémiologique particulière. Diagnostiquer rapidement l’infection est primordial puisqu’il existe un traitement curatif spécifique. Les autres virus du groupe Herpès, VZV, CMV ou EBV sont des causes rares d’encéphalites et de méningites de l’enfant sain ; l’utilisation de la PCR à visée diagnostique a permis de montrer que le HHV6 devait être ajouté à cette liste. L’introduction et surtout l’utilisation maintenant plus fréquente du vaccin contre la varicelle risque de rendre encore plus rares les complications neurologiques après infection à VZV, déjà estimées à moins de 1 %. Le plus souvent l’apparition d’une ataxie coïncidant avec l’exanthème, mais parfois plus précoce, signe la localisation ; les autres signes sont des vomissements, un nystagmus, des céphalées, une rigidité de la nuque. Une élévation modérée (< 100) des lymphocytes et de la protéinorachie peut orienter un diagnostic qui devra être confirmé par PCR, l’isolement du virus sur culture cellulaire s’avérant peu sensible. Les virus émergents Le virus west nile, exemple type du virus émergent Aux États-Unis Le virus west nile (VWN) est décrit pour la première fois à New-York en 1999 comme agent étiologique d’une épidémie d’encéphalites et de méningites aseptiques. En colonisant ensuite tous les États-Unis, alors qu’il était apparu pour la première fois en Ouganda en 1939 dans le district du Nile-Ouest, le virus étendait sa répartition géographique au monde entier. Le nombre de cas a augmenté très rapidement sur le continent américain, passant de 149 en 1999-2001 à 9 737 déclarations aux CDC en 2003, année où la Californie était atteinte. Ce flavivirus, du même groupe que l’agent de l’encéphalite de Saint-Louis, est transmis par la piqûre de divers moustiques, culex essentiellement, qui prolifèrent au printemps. Des transmissions sanguines sont possibles, d’où l’instauration d’un dépistage par les banques du sang. Bien que la majorité des infections demeurent inapparentes, le virus peut être responsable de tableaux sévères, en particulier chez les sujets âgés (les syndromes neurologiques graves seraient 43 fois plus fréquents après 80 ans que dans la tranche d’âge 0-20 ans). Les autres facteurs de gravité sont l’immunosuppression et le diabète insulino-dépendant. La maladie neurologique, qui touche 1 à 2 % des patients, se présente sous forme de méningites aseptiques d’évolution habituellement favorable ou d’encéphalites grevées d’un taux de mortalité d’environ 15 %. Des tableaux de paralysies aiguës flasques (type poliovirus) sont rapportés plus fréquemment que pour d’autres flavivirus comme celui de l’encéphalite japonaise ou celle de Saint-Louis. L’année 2003 semble avoir été celle de la plus forte incidence au États-Unis. Cependant, de nouveaux cas continuent d’être régulièrement rapportés, ce qui montre que la virose est aujourd’hui endémique dans de nombreux états américains (4). En Europe Le VWN, sans doute implanté depuis des décennies en Europe, est réapparu dans la première partie des années 1960 sous forme épidémique dans la zone ouest du bassin méditerranéen et en Russie du Sud. En 1996, une épidémie inattendue à Bucarest, en Roumanie, fut responsable de 393 hospitalisations et 17 décès ; une seconde vague y ajouta 37 cas après 1997. En Russie, 800 cas symptomatiques dont 84 méningoencéphalites et 40 décès furent attribués à l’épidémie de Volvograd entre juillet et octobre 2000. Depuis les années 2000, des cas importés, dont certains des États-Unis, ont été rapportés en Allemagne, au Danemark et en Scandinavie. Le VWN, sans doute implanté depuis des décennies en Europe, est réapparu dans la première partie des années 1960. En France, 6 cas humains (dont 2 ou 3 méningoencéphalites) sur la côte méditerranéenne succédèrent à une épidémie équine en Camargue en 2000. Au total, le VWN sous sa forme européenne est caractérisé par sa transmission urbaine, due au moustique domestique Culex pipiens. À côté des 80 % de cas asymptomatiques, les manifestations neurologiques sont très variées à type de méningite septique, méningoencéphalite, encéphalite ou encéphalomyélite avec manifestations ophtalmologiques. Les paralysies flasques, comme ailleurs, sont l’une des manifestations graves et séquellaires les plus fréquentes5. Le Centre de référence des arbovirus surveille activement l’activité du virus sur le territoire. Les autres virus émergents « potentiels » du Nouveau Monde Il est difficile, devant des virus parfois aussi peu répandus que le powassan ou le togavirus de l’encéphalite équine de l’Est, de faire la différence entre les agents réellement émergents et ceux traditionnellement associés à des méningites et encéphalites (tableau). Tous, grâce ou à cause du VWN, font l’objet d’une surveillance attentive des CDC. De nouveaux agents d’encéphalites virales ont été – et continueront d’être – identifiés aux États-Unis à l’occasion d’une enquête étiologique menée autour de cas de syndrome VWN-like. Les virus encéphalitogènes en Europe Tick-borne encephalitis virus (TBEV) : formes russe et centrale-européenne Le TBEV est un flavivirus à fort tropisme cérébral, transmis par la piqûre de tiques Ixodes. Il existe de nombreux variants viraux, dont les deux principaux sont neudorfl (sous-type Ouest) et sofin (sous-type Est). Ce dernier est responsable d’une encéphalite estivo-printanière russe, plus agressive que son homologue d’Europe centrale. La répartition géographique du sous-type Ouest s’est récemment étendue. Sont aujourd’hui concernés l’Italie (Piémont, centre et nord-est), le Danemark, la Grèce ; quelques cas ont été rapportés dans l’Est de la France. Entre 1991 et 2000, 1 500 diagnostics d’infections actives ont été enregistrés en Allemagne. Des manifestations neurologiques étaient décrites dans 47 % des cas : 42 % de meningoencéphalites et 11 % de méningoencéphalomyélites. La mortalité était de 1 % (contre une mortalité admise de 20 % pour les localisations neurologiques de sofin) (6). D’autres virus très proches de celui de la TBEV sont plutôt responsables de cas sporadiques : powassan, louping, langat voire agents de fièvres hémorragiques. En complément de la prévention des piqûres de tiques, il est possible d’envisager une vaccination (Ticovac®) pour un séjour rural en été et/ou en automne en zones d’endémies. Répartition géographique de l’encéphalite à tiques. En orange : sous-type Ouest, en vert : sous-type Est. le virus toscana Le virus toscana a été décrit pour la première fois en Toscane au début des années 1980. Transmis par des phlébotomes (mouches des sables présentes sur tout le bassin méditerranéen, particulièrement au Portugal, en Espagne, en France et à Chypre), ce phlébovirus de la famille des Bunyaviridae est responsable de méningites aseptiques, d’encéphalites et de méningoencéphalites (5). La diffusion du virus toscana en France fait l’objet d’une surveillance active du Centre de référence des arboviroses. Le tahyna virus Les virus tahyna, appartenant à la famille des Bunyaviridae, sont très proches de l’agent des encéphalites californiennes (tableau). Ils sont responsables de cas sporadiques et de petites épidémies en Russie du sud et ont été mis en évidence en Allemagne, en Tchéquie (pays le plus touché avec une séroprévalence de 16 % en 20027), en Hollande ou dans les Balkans. En France, il a été retrouvé en Camargue, Languedoc et Alsace. Transmis par diverses espèces de moustiques, il est responsable de syndromes pseudo-grippaux, parfois de méningites et d’encéphalites d’évolution simple. Comme le toscana, le tahyna virus est très surveillé par le CNR. *D’après Selvar JJ. The evolving epidemiology of viral encephalitis Current Opinion. Neurology 2006 ; 19 : 350-7. Modifié et mis à jour. Demain, le chikungunya ? Apparue en 2004 aux Comores, l’épidémie de chikungunya a concerné plus de 266 000 personnes à La Réunion et plus de 1 400 000 en 2006 en Inde, pays dans lequel la transmission était encore active début 2007 (8). L’infection est due à un arbovirus transmis par des Aedes dont A albopictus qui joue un rôle majeur dans la propagation de la dengue, et est l’arthropode le plus répandu des 11 espèces de moustiques de La Réunion. Si le terme de Chikungunya « homme courbé » en swahili, traduit bien l’intensité des arthromyalgies, des céphalées, nausées et vomissements sont assez fréquents et des tableaux d’encéphalites graves ont été décrits (deux décès d’enfants à La Réunion). Depuis 2006, plusieurs dizaines de cas ont été recensés en métropole. Il s’agit d’infections acquises Outre-Mer, malgré quelques doutes concernant des malades qui n’avaient pas quitté la métropole. Chikungunya : des tableaux d’encéphalites graves ont été décrits. Conclusion Certains virus, comme celui de la rage et parce que la majorité des cas apparaissent aujourd’hui dans certains pays dus aux chauves-souris, peuvent être considérés comme des virus « potentiellement émergents » tout à fait inattendus. D’autres, qui n’ont pas été décrits ici (dont l’encéphalite japonaise ou la dengue, qui pour l’heure épargnent encore l’Europe et les États-Unis), pourraient aussi un jour adopter de tels comportements épidémiologiques, comme le montre l’exemple du WNV : la popularité toujours grandissante des voyages intercontinentaux et la répartition très large dans le monde de plusieurs vecteurs, en particulier les moustiques, fait que le risque est constant et difficilement contrôlable.
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