Publié le 24 juin 2010Lecture 8 min
« J’ai mal à la tête » : migraine ? Céphalées de tension ? Maladie psychosomatique ?
B. TOURNIAIRE Unité douleur et centre de la migraine de l’enfant, Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau, Paris
Il a longtemps été affirmé à tort que la migraine n’existait pas chez l’enfant, que le diagnostic à évoquer en priorité devant des céphalées de l’enfant était une tumeur cérébrale ou un problème ophtalmologique ou ORL. Enfin, si ce bilan était normal, les problèmes psychologiques étaient souvent mis en avant en tant que diagnostic. Même chez l’adulte, la migraine reste souvent banalisée ou considérée comme une fatalité. Toutes ces idées fausses gênent considérablement la pratique quotidienne, elles empêchent d’avoir en tête les critères diagnostiques nécessaires et un arbre décisionnel correct.
Les céphalées sont les plaintes douloureuses récurrentes les plus fréquentes chez l’enfant. Elles posent trois questions principales : l’enfant a-t-il vraiment mal ? Que sont ces douleurs (migraines ? céphalées de tension ? simulation ? ou maladie grave [tumeur cérébrale…]?) et que faire ? La migraine de l’enfant La migraine est une maladie fréquente. Plus d’une dizaine de pays ont publié des études épidémiologiques ces dernières années ; la prévalence de la migraine chez l’enfant se situe toujours entre 5 et 10 % et jusqu’à 15 % chez l’adolescent(1,2). L’analyse du recrutement d’une cohorte de 3 054 enfants vus au centre de la migraine de l’hôpital Armand-Trousseau (Paris) montrait que la moyenne d’âge était de 11 ans, 15 % étaient âgés de moins de 7 ans et 33 % de plus de 12 ans(3). Comment reconnaître une crise de migraine ? La migraine n’est pas un diagnostic d’élimination. Il existe des critères précis de diagnostic, internationaux (critères IHS de l’International Headache Society[4]) (tableau 1), simples, d’interrogatoire (tableau 2), faciles à obtenir auprès de l’enfant en particulier et de ses parents, si l’enfant est trop petit pour répondre. Les enfants migraineux savent très bien décrire leurs céphalées dès l’âge de 4 à 5 ans, parfois plus tôt. Les enfants migraineux savent très bien décrire leurs céphalées dès l’âge de 4-5 ans. Bien souvent des signes associés sont retrouvés et sont une aide au diagnostic positif : douleurs abdominales (parfois au premier plan et faisant orienter le diagnostic sur un problème abdominal), une pâleur inaugurale et intense, une asthénie importante avec une recherche rapide de sommeil (qui bien souvent interrompt la crise) et une sensation vertigineuse. L’arrêt des activités, la nécessité de se coucher est un signe primordial, présent chez plus de 90 % des enfants. Quelques pièges à éviter La localisation de la douleur dans la région périoculaire fait souvent porter rapidement, et à tort, un diagnostic de problème ophtalmologique. Une ou plusieurs consultations ophtalmologiques risquent alors de mettre en exergue un « minime problème de convergence » ou une « légère hypermétropie », qui seront corrigés par des lunettes dites « de confort » ; l’enfant est accusé ensuite de la pérennisation de la céphalée s’il ne les porte pas, et le diagnostic de migraine n’est pas posé. Pour les céphalées frontales, encore trop souvent, une sinusite est évoquée, parfois « confirmée » par un scanner montrant un « discret épaississement ». Enfin, la localisation occipitale de la migraine est possible et trompeuse. Les auras migraineuses L’enfant peut avoir une ou des auras associées, plus fréquemment encore que l’adulte ; elles sont un signe supplémentaire pour le diagnostic et il faut les rechercher auprès de l’enfant lui-même, avec un vocabulaire adapté : « Vois-tu des choses bizarres dans tes yeux quand tu as mal ? », « entends-tu des bruits ou des sons, des voix ? », « sens-tu des choses bizarres sur ton corps ? ». Elles surviennent le plus souvent pendant la céphalée, plus rarement avant. Un enfant ayant eu 5 épisodes migraineux est migraineux. Aucun examen complémentaire n’est nécessaire Les recommandations de l’ANAES(5), publiée en 2003, sont très claires : « aucun examen complémentaire ne doit être prescrit pour établir le diagnostic de migraine, sauf s’il persiste un doute à la fin de l’interrogatoire et de l’examen clinique... la place des examens complémentaires est la même chez l’enfant que chez l’adulte. Toutefois, les indications de la neuro-imagerie doivent être élargies du fait des difficultés de diagnostic étiologique des céphalées chez l’enfant ». Un peu de physiopathologie La migraine est une maladie familiale. Sa physiopathologie en est de mieux en mieux connue, conjuguant des phénomènes neurologiques et vasculaires. Les auras sont des symptômes neurologiques, liés à des ondes corticales (appelées dépression corticale envahissante) : ce front de dépolarisation se propage, accompagné d’une baisse du débit sanguin. Plusieurs gènes ont été identifiés dans des formes de migraine. Les facteurs déclenchants Le cerveau du migraineux pourrait ainsi être considéré comme « hypersensible ». De nombreuses stimulations peuvent entraîner une crise de migraine : un excès de chaleur, de luminosité, de bruit, d’odeurs, de stimulations vestibulaires (manèges, « roulades »), de chocs sur la tête, mais aussi la fatigue, le sport, l’agitation chez le plus petit, le manque ou l’excès de sommeil, le jeûne, les phénomènes émotionnels et tout particulièrement les stress, contrariétés, inquiétudes... Ces derniers sont souvent au premier plan lors des périodes d’aggravation des crises. Véritables facteurs déclenchants, aggravants, ils ne doivent pas pour autant faire nier le diagnostic de migraine. L’anxiété et la dépression sont parfois associées et doivent être recherchées (6). Les facteurs alimentaires ne sont que très rarement en cause. Les sinus, la vue, ne sont pas responsables de la migraine. L’information et le suivi de l’enfant La restitution des données de l’entretien à l’enfant et sa famille sont des temps forts, car ils vont confirmer le diagnostic, souligner les éléments importants et permettre l’autonomisation de l’enfant et son entourage. La tenue d’un agenda des crises est conseillée initialement afin de mieux cerner le nombre de crises, les facteurs déclenchants, les traitements pris. Un livret d’information est disponible pour les familles, et les professionnels de santé, sur Internet, et en version papier [www.migraine-enfant.org] (7). Le traitement de crise Les recommandations de l’ANAES en 2003 (5) et de l’Afssaps en 2009 (8), basées sur l’analyse de toute la littérature, permettent de proposer l’ibuprofène en première intention 10 mg/kg, avec un maximum de 400 mg (son efficacité est supérieure a celle du paracétamol 15 mg/kg). Le traitement de la crise doit être donné précocement, dès que l’enfant comprend qu’il s’agit d’une crise de migraine débutante. Pour les crises de migraine modérées à sévères, chez l’adolescent de 12 à 17 ans, le sumatriptan spray nasal (10 à 20 mg) (grade A) est proposé en cas d’échec de l’ibuprofène. En-dessous de cet âge, les experts recommandent l’association de paracétamol rapidement en cas d’échec de l’ibuprofène (30 à 60 minutes plus tard). En cas de vomissements, le diclofénac intrarectal est recommandé. On ne doit pas donner d’opioïdes (faibles et forts) en traitement de crise. L’ibuprofène est considéré comme le traitement de première intention de la crise migraineuse. Le traitement de fond Chez l’enfant, les traitements de fond médicamenteux n’ont pas fait la preuve de leur efficacité. Par contre, les moyens non médicamenteux ont montré leur bénéfice dans de nombreuses études. Ainsi, l’apprentissage des méthodes psychocorporelles (relaxation, autohypnose…) peut être recommandé(6,8). De la façon dont la consultation s’est déroulée, du temps accordé pour parler de l’intrication des facteurs psychologiques avec les céphalées, dépendra l’acceptation ou non de ces méthodes. Bien expliquées, elles sont rarement refusées et apportent une aide précieuse (9). Les professionnels formés à l’hypnose et aux méthodes de relaxation sont de plus en plus nombreux ; la psychothérapie classique apporte aussi très souvent une aide considérable. Les raisons financières, souvent mises en avant à la fois par les familles et les professionnels, peuvent presque toujours être finalement dépassées en abordant l’intérêt de ces méthodes et parfois en faisant appel à des structures permettant une prise en charge financière (hospitalières ou centres médicopsychologiques). Bien qu’aucun traitement de fond médicamenteux ne puisse être recommandé, en pratique, l’amitryptiline est la molécule la plus utilisée sans doute dans cette indication chez l’enfant. La posologie de 0,3 à 0,5 mg/kg/j doit être atteinte progressivement et le traitement maintenu seulement quelques semaines à quelques mois. Si des doses plus importantes étaient nécessaires, atteignant les posologies antidépressives de cette molécule, le traitement sera prescrit et surveillé par un psychiatre.
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