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Sclérose en plaques

Publié le 01 juin 2008Lecture 15 min

Les troubles cognitifs au cours de la sclérose en plaques : dépister, comprendre, aider

C. LOUAPRE, C. PAPEIX, Fédération des maladies du système nerveux, Groupe Hospitalier, Pitié Salpêtrièrie, Paris
Longtemps négligés, les troubles cognitifs au cours de la sclérose en plaques (SEP) ont fait l’objet d’une plus grande attention de la part des cliniciens et des chercheurs ces dix dernières années.Les études cliniques ont ainsi révélé qu’ils étaient fréquents au cours de cette affection et qu’ils pouvaient survenir à une phase précoce de la maladie. Dans certains cas, ils précèdent même de quelques années l’atteinte des voies longues. Leur sévérité n’apparaît ni corrélée à la durée d’évolution de la maladie, ni au niveau de handicap moteur. Les principaux facteurs étudiés et influençant la sévérité de l’atteinte cognitive sont la fatigue, les troubles de l’humeur et les médicaments. La vitesse de traitement de l’information, l’attention, le raisonnement conceptuel et la mémoire à long terme sont les fonctions cognitives principalement affectées. Le dépistage de ces troubles fait appel à des tests simples, mais d’utilisation encore difficile en pratique quotidienne. Sur le plan anatomique, il semble que la topographie des lésions et le degré d’atrophie frontale et temporale soient plus déterminants que la charge lésionnelle.
L'atteinte cognitive au cours de la SEP est fréquente et peut être précoce Les troubles cognitifs, longtemps sous-estimés, apparaissent fréquents depuis qu’ils sont recherchés avec attention. En effet, un patient sur 2 atteint de SEP développera une atteinte cognitive au cours de la maladie (40 à 70 % selon les études) (1). Les études ne révèlent pas de corrélation entre la durée d'évolution de la maladie et la survenue des troubles cognitifs. Certaines fonctions exécutives et attentionnelles peuvent être affectées précocement, dès le premier événement démyélinisant Ainsi, un patient sur cinq souffre de troubles cognitifs dans les trois premières années de la maladie (2). Les études ne révèlent pas de corrélation entre la durée d'évolution de la maladie et la survenue des troubles cognitifs. L'atteinte cognitive est différente selon le type évolutif de la maladie. Elle est moins sévère et moins fréquente dans les formes rémittentes que dans les formes secondairement progressives ou primitivement progressives. Le profil cognitif est également différent d’une forme clinique à l’autre : les difficultés généralement observées dans les formes rémittentes concernent plus spécifiquement la mémoire de travail et la vitesse de traitement de l’information, tandis que dans les formes progressives, l'atteinte cognitive est plus diffuse (3). Dans certains cas, les symptômes neuropsychologiques sont au premier plan, voire isolés, réalisant un tableau de SEP cognitive pure. Cependant, ces cas sont très rares et seuls une trentaine de cas sont rapportés dans la littérature. Le retentissement de l'atteinte cognitive sur les activités de la vie quotidienne est souvent majeur. Chez ces patients, l'atrophie corticale est souvent importante, ce qui a conduit certains auteurs à parler de « variant cortical » de la SEP (4), cependant les lésions démyélinisantes de la substance blanche sont également fréquemment étendues et confluentes. Il est difficile de conclure précisément sur la physiopathologie de ces formes particulières de SEP. Bien que longtemps sous-estimés, les troubles cognitifs ont pourtant un impact social et professionnel majeur et peuvent affecter notablement la qualité de vie des patients indépendamment du handicap physique5, ce qui justifie l'intérêt croissant pour comprendre la physiopathologie de cette atteinte spécifique pour proposer une prise en charge thérapeutique et de rééducation adaptée. Les troubles cognitifs prédominent sur la mémoire, l'attention et la vitesse de traitement des informations La mémoire semble la fonction la plus touchée, puisqu'elle est perturbée chez 40 à 60 % des patients atteints de SEP. Le rappel libre en mémoire verbale est le plus précocement perturbé, mais la mémoire visuo-spatiale est également concernée par le déficit. En revanche, la mémoire sémantique, la mémoire implicite et la mémoire à court terme sont généralement préservées. La mémoire est perturbée chez 40 à 60 % des patients. Un défaut de vitesse de traitement des informations est un autre élément majeur du profil neuropsychologique des patients atteints de SEP et peut survenir dès les premiers symptômes de la maladie. De façon intriquée, les tâches attentionnelles sont également fréquemment perturbées. Les patients présentent des difficultés pour maintenir à l'esprit des informations et les manipuler. Enfin, les fonctions exécutives qui se rapportent à des tâches de planification et de résolution de problèmes sont également atteintes. Ainsi, les patients éprouvent des problèmes de conceptualisation, de rétro-contrôle et d'adaptabilité. En revanche, une atteinte corticale marquée par une aphasie, une agnosie ou une apraxie est exceptionnelle au cours de la SEP. L'évaluation des troubles cognitifs fait appel à des tests neuropsychologiques particuliers Il est difficile d'apprécier l'importance des troubles cognitifs lors d'un examen neurologique de routine. D'une part, la plainte du patient lui-même est rarement spontanée, et des tests simples et rapides, comme le Mini Mental Status (MMS), ne sont pas adaptés au profil de déficit cognitif des patients. Le MMS a une sensibilité de moins de 30 % dans le dépistage des troubles cognitifs et n'est donc pas recommandé comme outil d'évaluation chez ces patients. Le MMS a une sensibilité de moins de 30 % dans le dépistage des troubles cognitifs chez ces patients. Le test des additions en série ou PASAT (Paced Auditory Serial Addition Test) est le test le plus connu et le plus largement utilisé dans les études concernant les troubles cognitifs. Il permet d’explorer l'attention, la mémoire de travail et la vitesse de traitement des informations. En raison de sa sensibilité pour évaluer le déficit cognitif au cours de la SEP, le PASAT a fréquemment été employé comme objectif dans les essais cliniques dans la sclérose en plaques. Il est intégré au score composite MSFC (Multiple Sclerosis Functional Composite) en association avec la marche sur 8 mètres (Time 25- Foot Walk) et un test d’habilité manuelle, le 9 HPT (9-Hole Peg Test). Le principe du test PASAT est d'écouter une liste de chiffres qui défilent à intervalles réguliers (2 ou 3 secondes selon la difficulté choisie par l'examinateur) et d'additionner les 2 derniers chiffres entendus. Cela nécessite donc de maintenir en mémoire de travail les 2 derniers chiffres entendus, tout en réalisant des opérations de calcul. Un autre test fréquemment utilisé est le Symbol Digit Modalities Test (SDMT), qui évalue également la rapidité et l'attention soutenue. Le patient doit examiner une série de 9 dessins géométriques associés aux chiffres 1 à 9. Il doit ensuite associer chaque symbole présenté de façon aléatoire au chiffre lui correspondant de manière verbale ou écrite dans un temps limité de 90 secondes. Ce test est difficile à réaliser pour les sujets qui présentent une baisse d'acuité visuelle ou des difficultés d'écriture. Toutefois, il reste très employé en raison de sa bonne sensibilité (74 %) et spécificité (77 %), d'une part6, et de sa rapidité de passation, d'autre part. D'autres épreuves testant la mémoire de travail comme l'empan chiffré direct et indirect sont également utiles. Des tests de fluence verbale lexicale (par exemple : donner le maximum de mots qui commencent par la lettre s) ou sémantique (par exemple : donner le maximum de noms d'animaux) permettent de mettre en évidence un défaut des fonctions exécutives et des persévérations. Le test de RL/RI-16 (Rappel libre et indicé 16 items) qui est une adaptation française du test de Grober et Buschke (1987) est largement utilisé pour évaluer la mémoire verbale à long terme dans les maladies neurologique et dans la SEP. Cette liste de tests n'est pas exhaustive et d'autres tests sont réalisé en fonction des études. Il n'y a pas de consensus concernant la batterie de tests neuropsychologiques les plus utiles pour dépister l'atteinte cognitive. Toutefois, Rao a proposé en 1990 l'association de 5 tests constituant la RBRB (Rao's Brief Repeatable Battery) ; celle-ci comprend le test d'apprentissage verbal de Grober et Buschke SRT (Selective Reminding Test), un test d'apprentissage visuo-spatial (10/36 Spatial Recall Test), le SDMT, le PASAT et un test de fluence verbale. La fatigue, la dépression, l’anxiété, certains médicaments influencent les performances cognitives des patients La fatigue dans la SEP est un symptôme très fréquent puisqu’elle touche 50 à 90 % des patients. Il a été montré que la fatigue a un impact négatif sur les performances cognitives (7), d’où l’importance d’une évaluation par les échelles adaptées (FIS : Fatigue Impact Scale ou FSS : Fatigue Severity Scale). La prise en charge thérapeutique de la fatigue reste difficile et il n’y a pas actuellement de traitement efficace pour améliorer ce symptôme. Les troubles de l’humeur comme la dépression ou les troubles bipolaires sont également fréquents dans la SEP : on estime que 50 % des patients vont présenter un épisode dépressif majeur au cours de leur maladie. Le lien entre dépression et troubles cognitifs n’est pas clairement établi, mais il semble cependant que la dépression aggrave les difficultés de mémoire de travail et de vitesse de traitement de l’information (8). Un traitement antidépresseur est indiqué chez ces patients, même si un éventuel effet sur les performances cognitives n’a pas été évalué. Le niveau d’anxiété du patient est également un facteur pouvant diminuer les performances cognitives, en particulier pour des tests nécessitant un traitement rapide des informations comme le PASAT. Enfin, certains médicaments couramment utilisés dans la SEP peuvent majorer le déficit cognitif des patients, en particulier les corticoïdes, les benzodiazépines et les neuro leptiques. En revanche, les traitements immuno-modulateurs pourraient avoir un effet bénéfique. Ainsi, dans un essai clinique de phase III avec un interféron bêta-1a, 166 patients avec une SEP rémittente ont été suivis avec une évaluation neuro - psychologique pendant une période de 2 ans. Les résultats montrent un effet bénéfique du traitement immuno-modulateur sur la vitesse de traitement des informations et la mémoire (9a). L’étude BENEFIT qui évalue l’efficacité de l’interféron bêta-1b, débuté après un premier événement démyélinisant, a montré également un bénéfice du traitement sur les fonctions cognitives évaluées par la PASAT (9b). En revanche, il n’a pas été montré avec les immuno-modulateurs d’effets significatifs sur les performances cognitives dans les formes secondairement progressives. L’étude BENEFIT a montré un bénéfice du traitement sur les fonctions cognitives évaluées par la PASAT. Le développement de nouvelles techniques d’imagerie cérébrale : une aide précieuse dans la compréhension des mécanismes à l’origine de l’atteinte cognitive La physiopathologie de l’atteinte cognitive au cours de la SEP est complexe et reste controversée. L’IRM conventionnelle est un outil diagnostique très utile pour la SEP. La mise en évidence des lésions démyélinisantes de la substance blanche est aisée grâce à la combinaison des séquences T1 T2 et FLAIR. Il est ainsi possible de déterminer le volume lésionnel par des méthodes de quantification semi-automatique. Certains travaux ont montré des corrélations modérées entre la charge lésionnelle et les performances cognitives, mais la plupart des études récentes ne retrouvent pas cette corrélation, en particulier dans les troubles cognitifs précoces. Les lésions macroscopiques de la substance blanche étant un reflet de la composante inflammatoire de la maladie, il semble que le degré d’atteinte cognitive ne soit pas directement lié à l’activité inflammatoire. En revanche, de nombreuses études récentes mettent en évidence l’atrophie corticale suggérant une atteinte plutôt d’origine dégénérative pour expliquer la survenue des troubles cognitifs. Elles montrent des corrélations positives entre différentes mesures d’atrophie (volume cortical normalisé, mesures d’atrophie par Voxel Based Morphometry [VBM]) et certains déficits neuropsychologiques comme les troubles attentionnels et le déficit de vitesse de traitement de l’information mis en évidence par des difficultés au test PASAT. Grâce à une technique de VBM, l’équipe de Morgen et coll. (10) a retrouvé chez les patients présentant une SEP rémittente une atrophie du cortex préfrontal et temporal gauche par rapport à des sujets contrôles. Pour un sous-groupe de ces patients avec un déficit au test PASAT, l’atrophie est plus étendue et concerne les lobes frontaux de façon bilatérale, les lobes temporaux et pariétaux. De plus, dans une étude de suivi prospectif de 2 ans et demi de 28 patients avec une SEP rémittente, Amato et coll. (11) ont montré que l’atrophie corticale progresse plus vite chez les patients dont les performances cognitives se sont détériorées. L’atrophie corticale progresse plus vite chez les patients dont les performances cognitives se sont détériorées. Ainsi, un des substrats anatomiques possible de l’atteinte cognitive semble être l’atrophie corticale, dont le mécanisme reste à déterminer. Des techniques d’IRM non conventionnelles comme des séquences de transfert de magnétisation ou des séquences en tenseur de diffusion apportent des données quantitatives, caractéristiques de tissus d’apparence normale en IRM conventionnelle. Ainsi, le coefficient de transfert de magnétisation (Magnetization transfer ratio : MTR) de la substance blanche d’apparence normale, reflet de l’intégrité neuronale, est diminué chez les patients ayant des performances réduites au test PASAT (12). Cela suggère une atteinte diffuse de la substance blanche chez ces malades. IRM fonctionnelle : mise en évidence du recrutement d’aires corticales supplémentaires comme phénomène de compensation Si les données anatomiques permettant d’élucider les mécanismes physiopathologiques de l’atteinte cognitive restent complexes et parfois contradictoires, les données d’IRM fonctionnelles ont apporté en revanche une avancée intéressante dans la compréhension de ces troubles. En effet, Audouin et coll. (12) ont montré que l’activation des aires corticales lors d’un test de PASAT est plus étendue au niveau des régions préfrontales chez les patients présentant une SEP dès les premières années de la maladie, même lorsque les résultats de PASAT sont normaux. Les auteurs suggèrent que ce recrutement d’aires corticales habituellement non impliquées dans cette tâche attentionnelle est un phénomène de compensation. Il permet de maintenir des performances cognitives normales malgré les lésions induites par la maladie. Ce résultat a été confirmé par d’autres équipes avec d’autres tâches d’activation comme une tâche d’apprentissage verbal ou une tâche de mémoire de travail de type nback. L’existence de tels processus de réorganisation fonctionnelle a été également démontrée pour des tâches motrices et contribuerait à compenser un éventuel déficit neurologique. La prise en charge thérapeutique des troubles cognitifs : de réelles perspectives et une rééducation cognitive spécifique Malgré la fréquence et l’impact important des troubles cognitifs dans la SEP, la prise en charge de ces troubles reste difficile. Les effets potentiels des traitements de fond immuno-modulateurs ou immuno-suppresseurs ne sont pas clairement établis et sont modestes. Les traitements symptomatiques ont suscité un intérêt, en particulier le traitement par anticholinestérasiques. Une étude préliminaire monocentrique, randomisée en double aveugle utilisant le donépézil 10 mg versus placebo a été réalisée chez 69 patients (13). Un effet positif en faveur du donépézil a été observé sur les performances au Selective Reminding Test, un test d’apprentissage verbal. Cependant, cet effet est faible et ne s’accompagne pas d’une amélioration des autres tests neuropsychologiques. Une étude multicentrique plus large est nécessaire pour confirmer ces données. D’autres essais thérapeutiques sont en cours. Parallèlement, des stratégies de rééducation cognitive ont été développées et semblent prometteuses. Les premières études de rééducation comportaient des stratégies d’entraînement spécifique de la mémoire et de l’attention, mais les résultats sont souvent contradictoires. Chiaravalloti et coll. (14) ont montré, en revanche, que la simple répétition ne suffisait pas à améliorer les performances d’apprentissage verbal chez les patients, mais l’apprentissage de nouvelles stratégies d’encodage pourrait être bénéfique. De plus, grâce aux données d’IRM démontrant une réorganisation des réseaux fonctionnels avant même l’apparition des symptômes cognitifs, des stratégies de prise en charge cognitive sont envisagées pour développer cette plasticité.   En conclusion • La fréquence des troubles cognitifs au cours de la SEP et leur retentissement sur la qualité de vie du patient en font un enjeu majeur dans la prise en charge de la maladie. • Il faut différencier les troubles de survenue précoce, d’une part, parfois dès les premières années, modérés, et qui concernent les troubles attentionnels, la vitesse de traitement des informations et la mémoire, des troubles plus sévères, d’autre part, évoluant rapidement vers un tableau de démence, beaucoup plus rares. • Des tests neuropsychologiques sont nécessaires pour préciser l’atteinte et suivre les patients. • Il est important de prendre en compte des facteurs pouvant aggraver la plainte cognitive comme la dépression, l’anxiété ou la prise de médicaments comme les benzodiazépines fréquemment prescrits. • Les mécanismes physiopathologiques spécifiques de cette atteinte sont complexes. L’atrophie corticale et des anomalies diffuses de la substance blanche d’apparence normale ont été démontrées par des études d’IRM. Les études en IRM fonctionnelle ont montré des phénomènes de compensation par le recrutement d’aires corticales supplémentaires lors d’une tâche d’activation cognitive. • La prise en charge des troubles cognitifs repose sur des stratégies de rééducation cognitive visant à développer cette plasticité.

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