Publié le 03 juin 2012Lecture 13 min
Traitement dopaminergique dans la maladie de Parkinson : des guidelines à la pratique clinique
C. GÉNY, CMRR, CHU Gui de Chauliac, Montpellier
La maladie de Parkinson est une affection neurodégénérative particulièrement fréquente, puisque l'on considère que 1 à 2 % de la population de plus de 60 ans en est atteinte. L'histoire naturelle de cette maladie, qui commence en moyenne à l'âge de 57 ans, peut être modifiée par le choix de la thérapeutique initiale. Depuis 1959, on sait que les symptômes moteurs sont pour la plupart d'entre eux en rapport avec une déficience dopaminergique et peuvent être améliorés par l'administration de drogues dopaminergiques. Dans les années 80, le traitement antiparkinsonien a été largement dominé par la L-Dopa et la prise en charge des symptômes moteurs occupait tout l'espace thérapeutique. Malgré le développement des agonistes dopaminergiques et d'inhibiteurs de la mono-amine oxydase B, la L-Dopa reste en 2011 le « gold standard » du traitement antiparkinsonien.
Illustration : c’est également la L-Dopa qui améliore les patients atteints d’encephalite léthargique comme le raconte le neurologue Olivier Sachs dont le livre fut porté à l’écran en 1991 (L’éveil). Dans les années 2000, les sociétés savantes ont établi des recommandations sur la prise en charge thérapeutique de la maladie de Parkinson qui restent encore valides. Toutefois, celles-ci peuvent être nuancées à la lumière de l'expérience accumulée, de la mise à disposition de nouveaux médicaments et de la prise en compte des symptômes non moteurs. Ainsi, plusieurs études ont montré que l'utilisation en première intention d'agonistes dopaminergiques retardait l'apparition de dyskinésies, mais ce bénéfice a été tempéré par l'existence de troubles du contrôle des pulsions et de somnolence. Pendant cette même décennie, la biodisponibilité des agonistes a été améliorée avec le développement de nouvelles galéniques (forme LP et patch), ainsi agir sur la neurodégénérescence devient envisageable. La L-Dopa : le traitement de référence des symptômes moteurs La L-Dopa est un acide aminé naturel, lévogyre, précurseur de la dopamine. Elle est absorbée au niveau de la partie supérieure de l'intestin grêle et du duodénum par un système spécifique ; puis elle est ensuite massivement métabolisée au niveau périphérique par deux enzymes : Dopa décarboxylase et cathécol-O-méthyl-transférase (COMT). Une faible fraction du produit pénètre dans le système nerveux central et est transformée par la Dopa décarboxylase en dopamine responsable de l’effet thérapeutique principal ; mais certains auteurs considèrent qu'elle possède par elle-même un effet neuromodulateur et neurotransmetteur. Au début de la maladie, cette transformation s’effectue dans le neurone striatal et la dopamine est stockée dans les vésicules synaptiques. Au stade tardif, en raison de la perte neuronale importante, celle-ci s’effectue directement au niveau de la synapse ou dans des terminaisons peptidergiques ou sérotoninergiques. Afin d'agir sur les enzymes catabolisantes, les firmes pharmaceutiques ont associé à la L-Dopa des inhibiteurs périphériques de la décarboxylase (carbidopa - Sinemet® et Stalevo®, bensérazide - Modopar®) et de la COMT (Stalevo®). Les inhibiteurs de la COMT sont disponibles aussi sans L-Dopa (entacapone - Comtan® et tolcapone - Tasmar®). La forme à libération immédiate (Sinemet®, Modopar®) a une demivie de 1 à 3 heures. Des études pharmacocinétiques ont montré qu’il existe une hétérogénéité pharmacocinétique pour le moment mal expliquée par la pharmacogénomique, avec des variations importantes de la concentration maximale (facteur 10) et du pic (30 à 90 min). Sous l'effet du traitement par la L-Dopa et de l'évolution du processus dégénératif, les patients vont présenter plus ou moins rapidement des complications mo trices : des dyskinésies (effet dose et effet priming) et des fluctuations motrices. Ces dernières sont attribuées à la variation de la concentration intracérébrale de dopamine (< 5 % du taux sanguin). Les formes à libération prolongée ont eu pour but de pallier à cette variabilité, mais n'ont pas convaincu en raison d'une diminution de 25 % de la biodisponibilité sans effet réel sur la pulsatilité dopaminergique. La L-Dopa, disponible dans les années 70, n'avait jamais été vraiment évaluée contre placebo jusqu'à l'étude ELLDOPA publiée en 2004. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les variations inter- et intra-individuelles de l'effet de la L-Dopa. L'absorption de L-Dopa peut être modifiée par l'existence de troubles de la motilité digestive, la présence d’Helicobacter pylori, l’absorption de café, la supplémentation en fer et la quantité de protéines au cours du repas. La L-Dopa, disponible dans les années 70, n'avait jamais été vraiment évaluée contre placebo jusqu'à l'étude ELLDOPA publiée en 2004 dans le New England Journal of Medicine. Cette étude avait pour ambition de conclure sur la controverse de la neurotoxicité de la L-Dopa. La méthodologie choisie a consisté à comparer l'évolution de l'état moteur des patients parkinsoniens traités dans une première phase par du placebo ou de la L-Dopa à différentes doses (150, 300, ou 600 mg/j), puis sevrés de traitement pendant 15 jours. Cette étude a montré un effet dose significatif sur l'efficacité motrice et sur l'apparition de dyskinésies. Après sevrage, les patients traités par L-Dopa avaient un score moteur meilleur que ceux sous placebo, suggérant un effet neuroprotecteur. Toutefois, l'évaluation par DaTscan montrait des résultats contradictoires laissant le doute persister. Depuis une dizaine d'années, les praticiens disposent d'une nouvelle classe thérapeutique permettant d'améliorer la biodisponibilité de la L-Dopa : les inhibiteurs de la COMT. Cette famille se résume actuellement à deux molécules : la tolcapone (Tasmar®) et l’entacapone (Comtan®, Sta levo®), mais d’autres produits sont en cours d’évaluation. La pre mière reste peu utilisée en raison d'un risque hépatotoxique nécessitant une surveillance étroite. L’inhibition de la COMT permet en effet d'augmenter la biodisponibilité d’environ 30 % de la L-Dopa. Plusieurs études ont montré que l’association de l’entacapone à de la L-Dopa diminuait la durée de l’akinésie de fin de dose, sans augmenter les dyskinésies gênantes, et a obtenu son AMM dans cette indication. Les dyskinésies de pic de dose limitent souvent l'augmentation de la L-Dopa et peuvent altérer par ellesmêmes la qualité de vie. La physiopathologie de ces dyskinésies reste complexe. Elles peuvent être le reflet d’une plasticité aberrante au niveau des synapses cortico-striatales. Il existe de nombreuses données théoriques et expérimentales impliquant entre autres la pulsatilité dopaminergique dans la genèse de ces complications. Les propriétés de l'entacapone ont justifié la réalisation d’une étude (STRIDE-PD) évaluant l'intérêt de son administration à la phase initiale de la maladie. Celle-ci n'a pas montré l’effet attendu de prévention des dyskinésies, mais confirme l'intérêt d'utiliser une faible dose de L-Dopa surtout chez les sujets jeunes. La mise à disposition de dosages intermédiaires de Stalevo® (50, 75, 100, 125 mg) permet un ajustement sur mesure aux variations de l'état moteur. Une nouvelle galénique de la L-Dopa, la duoDopa® permettant une administration parentérale continue, peut être prescrite dans des conditions d’échecs des autres approches thérapeutiques et de contre-indications à la chirurgie. Les agonistes dopaminergiques Les agonistes dopaminergiques sont une famille de produits agissants sur les récepteurs post-synaptiques dopaminergiques. Il se distingue par leur demi-vie, leur caractéristique chimique (ergotée ou non ergotée), leur sélectivité dopaminergique (action préférentielle sur les récepteurs D2, parfois D3 [pramipexole] ou D1 [apomorphine]), leur fréquence et leur forme d'administration. L'ensemble des experts considèrent que ces produits ont une effica cité dopaminergique inférieure à celle de la L-Dopa. La supériorité de cette dernière peut être expliquée par son effet sur les récepteurs D1, D2, mais aussi sur les récepteurs adrénergiques et le transporteur de la dopamine. La prévention des dyskinésies au stade débutant de la maladie reste le principal avantage de cette classe thérapeutique. Plusieurs études (ropinirole, pramipexole, pergolide, piribédil versus L-Dopa) ont montré une moindre fréquence de dyskinésies chez les patients en monothérapie par agonistes (8-20 % vs 26-45 %), avec cependant une augmentation du risque d’akinésie de fin de dose (34-40 % vs 23-31 %). Ce bénéfice se maintient sur des périodes de 3 à 6 ans, mais il existe une incertitude sur le long cours et en ce qui concerne le risque de dyskinésies handicapantes. Un certain nombre de données préliminaires suggèrent un effet positif sur les symptômes non moteurs (apathie, dépression). Le spectre d’intolérance de ces produits s’est enrichi cette dernière décennie après la description de fibroses valvulaires (agonistes ergotés), d’accès d’endormissement et de troubles du contrôle de pulsions (figure 1). Figure 1. Spectre des effets indésirables des traitements dopaminergiques (d’après A. Antonini et coll. 2009). L’impact des formes à libération prolongée (Requip LP®, Sifrol LP®) et de la forme transdermique (Neupro®) sur les différents effets indésirables reste encore à préciser, mais celles-ci sont plus maniables et permettent une ascension plus rapide de la posologie. L’apomorphine par sa sélectivité dopaminergique et son mode d’administration occupe une place particulière et peut être particulièrement utile dans certaines circonstances : fluctuations motrices, akinésie matinale et de fin de dose, dystonie du gros orteil et formes évoluées en attente de chirurgie. Quel avenir pour la L-Dopa ? Les succès thérapeutiques dans la maladie de Parkinson ont été nom - breux au cours des dernières décennies. La L-Dopa, après près d'un demi-siècle d’utilisation, n'est pas encore candidate à la retraite. Elle est encore l’objet de nombreux travaux et des améliorations de la biodisponibilité sont encore envisagées. D’autre inhibiteurs de la COMT sont en cours d’évaluation. Le dernier congrès de la Movement Disorders Society à Toronto témoigne de la fertilité de cette approche thérapeutique. Certains auteurs développent des prodrogues de la L-Dopa. D'autres ont montré que les fluctuations des taux sanguins de L-Dopa étaient liées à ceux de la carbidopa et ont réussi à augmenter la concentration de L-Dopa en administrant de manière continue de la carbidopa en sous-cutanée. Certains ont développé des microtablettes de L-Dopa, afin d’adapter de manière très précise la dose unitaire et une forme transdermique. Les guidelines en conditions d’utilisation quotidienne Les principaux éléments dans le choix thérapeutique sont le degré de gêne fonctionnelle et l'âge du patient (figure 2). Figure 2. Initiation du traitement dopaminergique En 2011, le traitement reste largement symptomatique (moteur et non moteur) et doit être personnalisé en fonction du handicap, du stade de la maladie et de la réponse individuelle. Le praticien va s'appuyer sur les recommandations établies par différentes sociétés savantes (conférence de consensus [2000], American Academy of Neurology [2006], NICE guidelines [2006], Cochrane library [2010]). La conférence de consensus française reste largement valide en ce qui concerne l’initiation thérapeutique. Au stade avancé de la maladie, les options sont plus variées et reposent sur des données factuelles plus rares. Au stade débutantde la maladie, il n'y a pas de nécessité de traiter en l'absence d'un handicap fonctionnel. Toutefois, certains travaux prospectifs ont montré une diminution significative de la qualité de vie des patients non traités. Chez les sujets jeunes, afin de prévenir l'apparition des dyskinésies, il reste recommandé de débuter préférentiellement par des agonistes dopaminergiques. La rasagiline (Azylect®), qui a été commercialisée après la rédaction des conférences de consensus, peut être une alternative (recommandations NICE). Au stade des fluctuations motrices, l’American Academy of Neurology considère que la qualité des études permet de recommander l’utilisation de l’entacapone et de la rasagiline (niveau A), de la pergolide, du pramipexole, du ropinirole et du tolcapone (niveau B). Par contre, elle considère que les données sont insuffisantes en ce qui concerne la bromocriptine et les formes à libération prolongée (recommandation niveau C). Des auteurs français ont récemment suggéré d’adapter les recommandations classiques en fonction de l’importance relative des signes psychiques « hypodopaminer gi ques » (dépression, apathie, fatigue, anxiété). Si ces symptômes s’avèrent prédominants sur les signes moteurs, il pourrait être utile de favoriser l’utilisation des agonistes dopaminergiques. Inversement, il ne faut pas méconnaître les signes comportementaux « hyperdopaminergiques », puisque l’on considère qu'actuellement environ 15 % des patients sous agonistes présentent des troubles du contrôle des pulsions plus ou moins sévères (addiction au jeux, au sexe, dépense pathologique, etc.). Cette complication plus fréquente chez les sujets jeunes avec des antécédents de conduites à risque impose de rechercher ces facteurs de risque, d'en informer les patients (le conjoint, s’il est présent) et de repérer ces derniers par un interrogatoire dirigé ou un questionnaire validé (échelle d’Ardouin, questionnaire for impulsive-compulsive disorders in Parkinson’s disease). Les accès de somnolence imposent une information concernant la conduite automobile. Chez les sujets âgés, il reste recommandé d'éviter les agonistes dopaminergiques en raison d'une moins bonne tolérance psycho-comportementale, alors que la rasagiline peut être introduite (pas de recommandation des sociétés savantes). La L-Dopa reste le médicament de référence, mais un effet sédatif à des doses peu élevées peut être observé chez les patients les plus âgés. La prise en charge des fluctuations motrices et des dyskinésies reste délicate et nécessite une expertise neurologique, un suivi régulier et une éducation thérapeutique des patients et des conjoints. En effet, l'adaptation thérapeutique va reposer essentiellement sur les informations recueillies au cours de l'interrogatoire. Il est donc essentiel de former les patients à l'identification des périodes d'akinésie (début de dose, fin de dose, paradoxale), des effets on/off, des fluctuations non motrices, du freezing, des dyskinésies invalidantes de milieu de dose, de début et de fin de dose. Le suivi neurologique aura donc pour objectifs d'évaluer les troubles moteurs dopa- sensibles, les troubles axiaux peu dopa-sensibles, les symptômes non moteurs, les signes d’intolérance, d’identifier des pathologies intercurrentes et de prévenir les chutes fracturaires. Ainsi, en quelques années, le rôle des neurologues dans le suivi des sujets parkinsoniens s'est profondément modifié. Au même titre que le spécialiste de la sclérose en plaques se charge maintenant du plan de gestion des risques de nouveaux médicaments, que celui de l'accident vasculaire cérébral est devenu un expert des thérapeutiques interventionnelles et des urgences thérapeutiques, le « parkinsonologue » se doit d'initier et d’assurer une prise en charge globale dès la fin de la lune de miel et de gérer au mieux les symptômes non moteurs.
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