Accident vasculaire cérébral
Publié le 03 fév 2020Lecture 9 min
Comment et pourquoi dépister une FA après un AVC ? L’AVC est un véritable fléau
Claude KOUAKAM, Clinique de cardiologie – Institut Cœur-Poumon, CHU de Lille
On estime à environ 140 000 par an le nombre de nouveaux cas d’AVC en France, soit un AVC toutes les 4 minutes. Une personne sur six aura un AVC dans sa vie. L’AVC est au si fréquent que l’infarctus du myocarde. Le quart des AVC concerne des personnes de moins de 65 ans, la moitié des personnes de 65 à 84 ans et un autre quart des per onnes d’au moins 85 ans. Environ 20 % des personnes décèdent dans l'année qui suit un AVC.
L’AVC est la 1re cause de décès chez la femme et la 3e chez l’homme. On estime à environ 750 000 le nombre de personnes ayant sur vécu à un AVC, parmi lesquelles environ 60 % gardent des séquelles neurologiques plus ou moins importantes. Seul un tiers des actifs est capable de reprendre une activité professionnelle.
Pourquoi le cardiologue est-il concerné au premier plan par ce problème ?
Les affections à l’origine des infarctus cérébraux sont très nombreuses, mais trois dominent par leur fréquence : l’athérosclérose, l’artériolosclérose et certaines maladies cardiaques dites emboligènes, au premier rang desquelles la FA.
Elles représentent à elles trois environ deux tiers des AVC ischémiques. La proportion d’AVC liés à une affection cardio-embolique est évaluée à 20-25 %, et leur pronostic est plus sombre. Il est donc important d’en faire le diagnostic, mais ce n’est toujours pas chose facile.
Le cardiologue se retrouve ainsi au centre de l’enquête étiologique de la plupart des AVC notamment cryptogéniques. À lui revient la (lourde) tâche de réaliser les ETT, ETO, écho Doppler des TSA, MAPA, Holter ECG, et si besoin, l’implantation et le suivi du moniteur ECG de longue durée.
On se doute bien que l’objectif principal de ces explorations est la recherche d’affections cardiaques associées à un risque embolique élevé pouvant conduire le praticien à modifier sa stratégie de prise en charge (instauration d’un traitement anticoagulant, prise en charge interventionnelle…).
Pourquoi dépister une FA après un AVC ?
La réponse à cette question paraît évidente, car trouver la cause d’un AVC aide à prévoir le risque de récidive et à adapter le traitement préventif. Les liens entre FA et risque d’AVC ischémique sont bien connus et intégrés dans les recommandations de prise en charge(1).
La FA est, d’une part, l’arythmie la plus fréquente dans la population générale avec une prévalence qui augmente avec l’âge et, d’autre part, elle multiplie par 5 le risque d’AVC. Ce risque est comparable que la FA soit paroxystique ou permanente.
En tant que cause majeure d’AVC, la FA contribue de fait à l’augmentation de l’incidence des AVC.
Le bénéfice des anticoagulants oraux sur la diminution du risque d’AVC n’est plus à démontrer, encore faut-il que la FA soit documentée(1).
Comment dépister une FA après un AVC ?
Dépister une FA par la prise du pouls complétée d’un ECG en cas d’irrégularités est une méthode simple et coût-efficace, qui doit être recommandée chez tout patient victime d’un AVC ischémique (classe IB)(1). Ensuite, il est très souvent nécessaire de recourir à des méthodes d’enregistrement plus ou moins prolongées, car dépister la FA paroxystique reste un défi au quotidien(2). Les dispositifs de monitoring ECG actuels, malgré leurs difficultés techniques et logistiques, sont susceptibles d’aider le cardiologue (figure 1).
Figure 1. 1re (A) et 2e (B) génération de moniteurs ECG externes ambulatoires. Adapté des recommandations ISHNE-HRS 2017 (télémétrie ambulatoire manuelle ou automatique non disponible en France)(2).
Les modalités de dépistage restent débattues, mais des données récentes suggèrent fortement que l’enregistrement continu et prolongé de l’ECG augmente significativement le taux de détection de la FA après un AVC(3-5).
L’enregistrement Holter ECG de 24 ou 48 heures est habituellement le premier examen réalisé pour dépister une FA paroxystique, malgré une faible rentabilité diagnostique. L’étude FINDAF a été l’une des premières à montrer que la probabilité de détecter un épisode de FA paroxystique après un AVC était proportionnellement corrélée à la durée d’enregistrement (figure 2)(3), résultats confirmés par ceux de l’étude EMBACE(4).
Figure 2. Pourcentage de détection d’épisodes de FA paroxystique en fonction de la durée d’enregistrement de patients victimes d’un AVC ischémique inexpliqué, se présentant en rythme sinusal(3).
Les recommandations ESC 2016 suggèrent une durée d’enregistrement d’au moins 72 heures (classe IB)(1). Ainsi, plus la durée d’enregistrement est prolongée, plus grandes seront les chances de « capturer » une FA paroxystique. Cependant, tolérance et compliance sont les principales limites des durées d’enregistrement très prolongées.
Face aux limites des enregistreurs externes, ont été mis sur le marché depuis une vingtaine d’années des moniteurs ECG implantables sous-cutanés. Du fait de leur extrême miniaturisation, les nouvelles générations sont plus faciles à implanter. Ils peuvent être soumis aux mêmes contraintes techniques que les Holters classiques en termes de qualité du recueil et d’analyse du signal, notamment du fait de la présence de parasites internes (mouvements, myopotentiels, etc.) ou externes au patient (champs électromagnétiques). Les algorithmes de détection de la FA sont désormais très performants sur ces dispositifs, limitant ainsi les faux positifs.
Cependant, du fait de leur algorithmie, il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de dépister une FA de moins de 2 minutes.
Les points forts de ces Holters sont leur longévité (3 ans) et l’actuelle possibilité d’une interrogation à distance.
Jusqu’à il y a peu réservé au seul bilan des syncopes inexpliquées, leurs indications se sont élargies au bilan étiologique des AVC cryptogéniques (classe IIaB)(1), depuis la publication des résultats de l’étude CRYTAL-AF(5). Ils sont depuis 2017 remboursés dans cette indication en France (figure 3).
Figure 3. FA diagnostiquée 2 mois après l’implantation d’un Reveal® pour un AVC inexpliqué malgré plusieurs Holter ECG de 24 h, 48 h et 21 jours, chez une patiente de 52 ans traitée par thrombolyse et thrombectomie.
L’émergence de nouveaux outils : une réelle avancée vers un dépistage plus aisé de la FA ?
Il faut avouer que le dépistage de la FA après un AVC n’est pas satisfaisant avec les moyens actuels.
L’essor de l’Internet et des nouvelles technologies numériques rend désormais accessible à tout un chacun la possibilité de surveiller soi-même différents paramètres de sa santé, notamment le rythme cardiaque. De nombreuses solutions d’enregistrement de l’ECG (une ou plusieurs dérivations) sont maintenant disponibles sur le marché. Certaines ont démontré scientifiquement leur fiabilité et sont d’ores et déjà recommandées pour la détection des arythmies cardiaques (tableau 1)(2,6).
Patchs Holters-ECG
C’est une nouvelle classe capable d’effectuer des enregistrements du rythme cardiaque en continu sur une durée de 7 ou 14 jours. Le boîtier enregistreur est clipsé sur l’électrode patch ou directement intégré dans l’électrode patch (et alors à usage unique). On les colle sur la partie supérieure du torse en règle générale (figure 1).
Ils sont résistants à l’eau, et leur principal atout est leur grande simplicité d’utilisation et leur bonne tolérance.
Plusieurs problèmes se posent cependant quant à l’accessibilité aux données (via le fabricant), le coût et le délai entre la dépose et l’analyse (faite par le fabricant). D’autre part, la faible distance inter-électrode peut induire un signal ECG plus ou moins microvolté.
L’intérêt de ces patchs enregistreurs pour la détection de la FA est démontré(7).
La version numérique pour une transmission automatique de l’ECG est disponible, mais encore très onéreuse.
Moniteur ECG monocanal portable sans fil
Simple et pratique, cet ECG de poche permet d’enregistrer, de stoker et de transférer 30 secondes de tracé ECG et fournit, lorsque cela est possible un message de fréquence cardiaque moyenne après la mesure ECG. Il s’agit d’une catégorie d’enregistreurs discontinus qui peuvent être utilisés au moment d’un symptôme (enregistreur post-évènement) ou à la discrétion du patient (routine ECG). Différents modes d’enregistrement sont proposés : digital (figure 4), thoracique ou par câble ECG.
Figure 4. Modèle de mini-ECG connecté MyECG – Bewell Connect® développé par la firme française Visiomed.
Ces ECG de poche ont, contrairement aux patchs enregistreurs, la capacité de transmettre quasiment en temps réel l’ECG au centre de surveillance ou au cardiologue.
Le dépistage à large échelle de la FA en milieu gériatrique a été réalisé avec succès par ce type de dispositif(8).
Smartphone et smartwatch
Ils appartiennent à la même catégorie d’enregistreurs que les ECG de poche. Dans cette version l’ECG est embarqué dans un smartphone et enregistré entre les doigts des deux mains à l’aide d’une électrode métallique clipsée sur le téléphone (figure 5). De tous les nouveaux outils d’enregistrement de l’ECG, le smartphone est celui qui a fait l’objet de la plus large évaluation clinique.
Figure 5. Système AliveCor Kardia® développé par la firme américaine AliveCor, constitué d’un petit dispositif de capture d’ECG à 1 dérivation à partir des doigts, connecté à une application pour Smartphone permettant d’enregistrer 30 secondes d’ECG (iECG).
• L’étude REHEARSE-AF a ciblé des personnes ≥ 65 ans, présentant au moins 1 facteur de risque d’AVC et indemnes de FA(9). 1 001 participants ont été randomisés pendant 1 an entre la réalisation 2 fois par semaine d’un iECG, et le suivi de routine.
La probabilité de dépister une FA était 4 fois plus élevée dans le groupe iECG.
Une étude dédiée est en cours dans le bilan des AVC cryptogéniques(10).
Pour s’affranchir des électrodes, une solution logicielle utilisant l’appareil photo et la lumière LED du smartphone a été conçue. Via une application dédiée, il est possible d’obtenir une courbe à partir des formes d’ondes acquises lorsque le doigt est posé sur l’objectif photo (figure 6). Le signal est dérivé de la photopléthysmographie digitale et affiché sous forme d’un pseudo ECG. Ce n’est pas un reflet précis de l’activité électrique cardiaque telle qu’on analyse en cas d’arythmie. Malgré tout, une étude comparant cette solution à l’iECG a démontré des performances diagnostiques identiques.
Figure 6. Exemple de mesure du rythme cardiaque par l’intermédiaire de la lumière LED d’un smartphone en posant le doigt sur l’objectif photo et en téléchargeant l’application PULSE-SMART® dédiée.
• Un pas supplémentaire a été franchi avec la présentation des résultats de l’étude APPLE HEART lors du dernier congrès de l’ACC qui a démontré la faisabilité du dépistage de la FA par une montre. Grace au capteur optique incorporé dans l’APPLE WATCH, il est possible par photopléthysmographie de produire un tachogramme afin de déterminer si le rythme est irrégulier(11). Ces résultats, certes encourageants, nécessitent de plus amples validations.
• Mais là ne s’arrête pas l’innovation. D’autres développements déjà disponibles permettent d’enregistrer un tracé ECG une piste grâce à deux électrodes (figure 7), l’une située sur la face arrière de la montre (celle en contact avec le poignet), l’autre sur le côté (sur laquelle l’utilisateur doit poser le doigt de l’autre main pendant 30 secondes).
Figure 7. Enregistrement d’un tracé ECG avec une smartwatch grâce à 2 électrodes, l’une située en dessous de la montre et l’autre sur le bouton sur le côté. Le signal enregistré correspond à la dérivation D1.
La FDA a d’ores et déjà approuvé le smartphone et la smartwatch aux États-Unis.
Vêtements connectés
Le tee-shirt connecté est le dernier-né des outils proposés pour le monitoring du rythme cardiaque. Plusieurs prototypes sont en cours d’évaluation parmi lesquels le CardioSkin® développé par la start-up française Bioserenity et le CardioNexion® par la start-up française @-Health (figure 8).
Figure 8. Modèle de tee-shirt ECG connecté CardioNexion® développé par la start-up française @-Health.
Des électrodes sont clipsées ou directement tissées sur un vêtement (tee-shirt ou soutien-gorge), et reliées à une électronique souple embarquée et encapsulée de l’ordre de quelques microns.
Cet outil vestimentaire (Wearable Device) communique les ECG en Bluetooth à un smartphone. Celui-ci sert de modem et transmet les ECG à un centre de surveillance.
Grâce à une application mobile associée, le patient peut renseigner les symptômes associés. La durée de surveillance potentielle est illimitée. Les résultats préliminaires dans le bilan des AVC cryptogéniques sont très prometteurs(12).
En pratique
Le dépistage de la FA après un AVC reste un véritable enjeu. Plusieurs études ont démontré que, quel que soit l’outil utilisé, la rentabilité diagnostique est fonction de la durée d’enregistrement (tableau 2).
De ce point de vue, les dispositifs implantables sont aujourd’hui la référence, mais grâce au développement de nouveaux outils diagnostiques numériques, une amélioration significative de la détection de la FA paroxystique se profile.
Le rapport coût-efficacité et les considérations légales restent encore une limite importante à leur large utilisation.
Publié dans Cardiologie Pratique
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