Publié le 17 jan 2011Lecture 8 min
Coma, cognition et inconscient
M. BOLY, Coma Science Group, Centre de recherches du cyclotron, Service de neurologie, CHU du Sart-Tilman, Université de Liège (Belgique)
Quel est le fonctionnement cérébral résiduel des patients qui survivent à une atteinte sévère du cerveau et qui restent en coma, en état végétatif, en état de conscience minimale ou en locked-in syndrome ? Les réponses actuelles à ces questions de Mélanie Boly, à partir des résultats d’études électrophysiologiques et de neuro-imagerie fonctionnelle réalisées chez ces patients.
Illustration : Mathieu Amalric dans le rôle de Jean-Dominique Bauby (Journaliste et écrivain décédé d'un locked-in-syndrome en 1997) dans le film inspiré de son livre autobiographique le scaphandre et le papillon Les patients survivant à une atteinte sévère du cerveau passent classiquement par différents stades cliniques avant de récupérer partiellement ou complètement la conscience dans ses deux composantes (éveil et conscience du monde extérieur). Le patient comateux est non éveillable et n’a pas de conscience de son environnement. Après quelques jours ou semaines, le malade en coma qui récupère va ouvrir les yeux. Si cet « éveil » est uniquement accompagné d’une activité motrice réflexe et dénuée de toute interaction volontaire avec l’environnement, il est alors qualifié de « végétatif ». L’état végétatif (VS) peut être un état de transition vers la récupération ou peut rester chronique, voire irréversible. Des signes d’activité motrice volontaire doivent être activement recherchés, car ils annoncent l’état de conscience minimale (MCS) (1) dans lequel les patients, bien que sortis de l’état végétatif, restent incapables de communiquer. Évaluation comportementale de la conscience Avant d’entreprendre une étude de neuro-imagerie ou d’électrophysiologie chez des patients cérébrolésés, il est primordial d’obtenir une évaluation clinique précise en utilisant des échelles comportementales standardisées et adaptées. Notre équipe a en effet démontré que plus d’un quart des patients considérés comme végétatifs (VS) sont en fait en état de conscience minimale (MCS) si l’on se base sur une évaluation rigoureuse par la Coma Recovery Scale-Revised (CRS-R), qui est la seule échelle à incorporer explicitement les critères diagnostiques différenciant les deux populations de patients (2). Études électrophysiologiques : BIS et PE L’index bispectral (BIS) est une variable dérivée de l’EEG, qui a été validé empiriquement dans la quantification de la profondeur de l’anesthésie générale. L’utilité d’un monitorage EEGBIS a été évaluée chez des patients en coma et dans des états apparentés (3). Une valeur BIS de 50 différentiait les patients inconscients (coma ou VS), des patients conscients (MCS ou locked-in syndrome) avec une sensibilité de 75 % et une spécificité de 75 %. La technique des potentiels évoqués (PE) est également utilisée. Elle permet d’examiner la capacité des patients à détecter leur propre prénom – un stimulus autoréférentiel puissant qui saisit l’attention. Cependant, comme l’a montré une étude prospective conduite chez 18 patients VS, MCS et locked-in (4), un potentiel P300 peut être enregistré chez des patients VS en réponse à leur propre prénom, alors que ce potentiel n’était pas obtenu lors de la présentation des autres prénoms. Une réponse P300 ne reflète donc pas nécessairement une perception consciente et ne peut être utilisée pour différencier de manière fiable VS versus MCS. La réponse à des potentiels évoqués auditifs posssède cependant une valeur pronostique chez les patients sévèrement cérébrolésés et peut être utilisée dans ce contexte. La technique des potentiels évoqués (PE) permet d’examiner la capacité des patients à détecter leur propre prénom. Neuro-imagerie fonctionnelle La relation entre le fonctionnement métabolique cérébral global et la présence ou l’absence de conscience n’est pas absolue. En effet, certaines régions cérébrales semblent plus importantes que d’autres dans l’émergence de la conscience. État végétatif : le tronc cérébral est préservé En particulier, il a été montré qu’un large réseau fronto-pariétal associatif est systématiquement dysfonctionnel chez les patients inconscients (5). Une autre caractéristique des patients végétatifs est la préservation métabolique du tronc cérébral (comprenant la formation réticulée mésopontique), de l’hypothalamus et du télencéphale basal expliquant le maintien des fonctions autonomes. La conscience, du cortex au thalamus Par ailleurs, la conscience est associée et, de manière aussi importante, à la connectivité fonctionnelle à l’intérieur d’un réseau comprenant le cortex et les thalami. Des déconnexions cortico-corticales (entre les aires médianes-postérieures et latérofrontales) et cortico-thalamocorticales (entre les noyaux thalamiques non spécifiques et les aires médianes-postérieures) ont ainsi pu être identifiées chez les patient en VS. En outre, la récupération de l’état végétatif est associée à une récupération de l’intégrité fonctionnelle du réseau fronto-pariétal et d’une partie de ses connexions corticothalamo- corticales (6). Précunéus et cortex cingulaire postérieur : des régions « critiques » Le précunéus et le cortex cingulaire postérieur adjacent constituent un noeud critique dans ce réseau fronto-pariétal. Ces régions sont les plus aptes à différencier l’état végétatif de l’état de conscience minimale. Elles sont atteintes de manière importante chez le patient végétatif et retrouvent une activité métabolique proche de la normale après reprise de conscience. Ces régions sont actuellement considérées comme étant parmi les plus anatomiquement connectées du cerveau humain, et font partie du réseau dit « du mode par défaut », qui a été impliqué dans différentes fonctions cognitives comme la conscience de soi et la mémoire autobiographique. Une étude de notre groupe a par ailleurs récemment montré que la connectivité dans ce réseau du mode par défaut montre une étroite corrélation avec le niveau de conscience chez les patients cérébrolésés (7). Le précunéus et le cortex cingulaire postérieur sont les régions les plus sensibles pour différencier l’état végétatif de l’état de conscience minimale. Quel traitement cérébral des stimuli nociceptifs, auditifs et émotionnels ? Dans un travail ayant étudié le traitement cérébral de stimuli nociceptifs, auditifs et émotionnels en utilisant la TEP-H215O, aucun argument n’a été trouvé en faveur d’une activation en aval des aires somatosensorielles primaires (n = 15 patients en VS). Des analyses de connectivité fonctionnelle ont démontré que l’activation résiduelle corticale primaire était comme un îlot, dissocié des aires hiérarchiquement supérieures considérées comme nécessaires à la perception consciente. À l’opposé, l’étendue et le niveau d’intégration de l’activation cérébrale induite par des stimuli nociceptifs chez les patients en MCS sont susceptibles de refléter une perception sensitive et affective comparable à celle observée chez les sujets sains (8). Les mêmes conclusions furent obtenues par notre équipe dans des études utilisant des stimuli auditifs. En outre, chez les patients MCS, des sons à connotation émotionnelle (comme des cris de nouveau-né et le propre prénom des patients) induisent une activation cérébrale beaucoup plus étendue qu’un bruit neutre, suggérant qu’il existe une capacité de perception émotionnelle résiduelle chez ces patients. Détecter une réponse à la commande en utilisant l’imagerie fonctionnelle Bien que des progrès considérables aient été réalisés dans la connaissance du fonctionnement cérébral des patients en état de conscience altérée, l’interprétation directe des résultats des études d’imagerie fonctionnelle utilisant des stimulations passives reste difficile. Dans ce contexte, notre équipe a développé, en collaboration avec l’Université de Cambridge au Royaume-Uni, un paradigme permettant d’identifier une réponse à la commande par l’imagerie fonctionnelle, en mesurant l’activation cérébrale produite en réponse à une tâche active d’imagerie mentale (imaginer jouer au tennis, par exemple). Cette méthode permet de détecter une réponse à la commande chez des patients incapables de communiquer en raison de troubles principalement moteurs, mais possédant des capacités cognitives résiduelles suffisantes pour réaliser ces tâches (9). Cette technique a également récemment été utilisée avec succès afin de tenter de communiquer, sous la forme de questions avec réponse fermée (réponse par « oui » ou « non ») avec un patient cliniquement en état végétatif, mais capable de réaliser la tâche et donc conscient (10). Difficultés techniques et problèmes éthiques spécifiques Pour terminer, il est important d’insister sur les difficultés rencontrées lors de l’acquisition, de l’analyse et de l’interprétation des études en neuroimagerie fonctionnelle, des électroencéphalogrammes et des potentiels évoqués chez les patients dont la conscience est altérée. Il faut également souligner les problèmes éthiques spécifiques rencontrés avec de tels patients dont le consentement ne peut être obtenu.
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