Publié le 20 déc 2010Lecture 6 min
Dépression : des neurones anticipateurs
E. Neuman
Les études sur le rôle du cortex préfrontal ont été largement réalisées dans une pensée conceptuelle qui va de la « perception à l’action ». Dans ce schéma, et sous l’influence des recherches sur les processus mnésiques, les premiers travaux réalisés par enregistrement unitaire sur le singe cherchaient à démontrer l’existence d’activités soutenues reflétant la rétention d’informations. C’est en utilisant des tâches incluant une période de délai entre un stimulus instructeur et une action à réaliser que ces activités ont pu être mis en évidence dans le cortex préfrontal.
Ces travaux ont apporté le concept de « mémoire de travail », où le cortex apparaît avec ses activités délais comme un maillon essentiel dans les processus de rétention d’information (mémoire) permettant de préparer l’action. Par la suite, un second type d’activité, s’exprimant aussi pendant la période de délai, a été mis en évidence. Il s’agit d’activités d’anticipation qui s’opposent aux activités mnésiques en raison de leur caractère prospectif et non rétrospectif. Ces activités, d’abord associées à la préparation de l’action, ont pu être retrouvées dans différents processus (attention, motricité et motivation) aussi bien dans le cortex frontal qu’au niveau du striatum, une structure étroitement associée au cortex frontal. C’est à ce niveau que ces activités d’anticipation ont pu prendre différentes formes : attente de stimuli visuels, préparation du mouvement ou encore attente d’une récompense ou crainte d’un événement non désiré. Anticipation et « émotions relatives » En passant d’un concept où l’action n’est plus seulement le résultat d’une perception mais plutôt l’instrument de nos intentions, motivations ou besoins recherchés, l’anticipation ou l’attente d’événements à venir prennent une grande importance. Ce type d’activité nous permet entre autres de comprendre les « émotions relatives ». Pourquoi avons-nous une réaction de déception ou de frustration plutôt que de satisfaction ou de plaisir en apprenant que notre travail sera rémunéré 20 euros au lieu des 1 000 euros attendus ? La récompense obtenue n’étant pas à la hauteur de l’attente espérée, c’est un sentiment négatif de déception qui s’exprime plutôt qu’un sentiment positif lié à l’obtention d’un gain. Le raisonnement inverse est aussi vrai pour les pertes ou la découverte d’événements indésirables. L’anticipation d’une perte monétaire ou la crainte d’un événement indésirable peut paradoxalement se manifester par un soulagement et même de la joie, si la perte ou l’événement qui se produit réellement est loin d’être aussi important que ce qui était attendu. Les anticipations de pertes et de gains sont maintenant intégrées dans les modèles les plus récents de prises de décisions. L'étude de ces processus chez l'homme, au moyen de l'imagerie fonctionnelle, met en évidence les mêmes régions cérébrales que celles qui apparaissent importantes dans l’anticipation de stimuli « appétitifs » et aversifs. Chez le singe, c'est au niveau de deux de ces structures, le cortex orbitofrontal et le striatum, que ces activités d’attentes d’événements positifs et négatifs ont justement été mises en évidence dans des populations distinctes de neurones. Des neurones anticipateurs d’événements positifs ou négatifs L’émoussement affectif observé chez les sujets dépressifs affecte la perception des événements positifs. Ce symptôme appelé anhédonie (perte de la capacité à éprouver du plaisir) est généralement accompagné d’une perception des événements négatifs qui est normale ou exagérée. Des modifications d’activités ont été retrouvées par imagerie cérébrale au niveau du cortex orbito-frontal. Or, l’étude de l’activité des neurones de cette région chez le singe montre que seuls les neurones, dont l’activité était spécifiquement tournée vers les préférences de l’animal (stimuli les plus positifs), répondaient ou s’activaient dans une situation de choix. Il est possible que si des stimuli non préférés (stimuli négatifs) avaient été présentés, nous aurions établi une condition expérimentale où seuls les neurones liés aux stimuli négatifs se seraient activés. Le contexte pourrait amener à recruter une population neuronale spécifique et induire ainsi une anticipation et une perception du monde qualifiable de positive ou négative. Des événements de forte intensité émotionnelle peuvent induire ces états opposés : état de bien-être où tout apparaît positif ou, à l’inverse, un état dépressif réactionnel où tout apparaît négatif et noir. Toujours dans le domaine de la normalité, il y a des différences dans les traits de personnalité qui peuvent aussi s’expliquer par une bascule en faveur d’une des deux populations de neurones. Une bascule en faveur des neurones anticipateurs d’événements positifs ou négatifs pourrait être à la base d’un caractère optimiste ou pessimiste. En sortant cette fois-ci de la normalité, il peut être proposé que les états dépressifs soient dus à un déséquilibre en faveur des neurones anticipateurs des événements négatifs et ceci au détriment d’une perception des éléments positifs (anhédonie). Bien qu’il ne s’agisse là que d’une hypothèse, il est à noter que le fait de pouvoir poser ce genre d’hypothèses, qui abordent les domaines de la personnalité et les base neuronales de la dépression, signifie qu’une étape a réellement été franchie avec ces études sur les neurones anticipateurs.
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