Publié le 21 déc 2010Lecture 10 min
Faut-il avoir peur des médicaments génériques dans l’épilepsie ?
A. BIRABEN, Unité d’épileptologie, Hôpital Pontchaillou, Rennes
La substitution des médicaments de marque par des médicaments génériques ne devrait pas, en principe, avoir de conséquences sur l’efficacité et le suivi des traitements. Et pourtant, dans l’indication particulière de l’épilepsie, la situation est, comme on va le voir, loin d’être aussi simple pour le prescripteur et son patient, mais aussi pour le pharmacien.
Depuis quelques années, la pression financière sur la santé est telle que les autorités tentent par tous les moyens de faire des économies. Parmi les décisions récentes, ces autorités ont incité financièrement, puis de plus en plus autoritairement les pharmaciens et les médecins à substituer les médicaments de marque par des médicaments génériques. Les médicaments antiépileptiques (MAE) n’échappent pas à cette règle. Le seul intérêt de la substitution est donc économique : ce sont les seuls médicaments recevant une AMM sans augmentation du SMR (service médical rendu). Cela suscite l’inquiétude des patients et des prescripteurs, et a provoqué un débat. L’Afssaps a même dû réagir, et a écrit aux pharmaciens et aux médecins concernant la substitution dans l’indication épilepsie. Nous allons tenter de répondre à quelques questions que se posent patients, médecins et pharmaciens. Les génériques et les princeps, est-ce pareil ? Sur le plan légal… Un médicament générique est la « stricte copie » d’un médicament original dont le brevet de commercialisation exclusive par un laboratoire pharmaceutique a expiré et appartient au domaine public. Cette copie est certifiée par l’Afssaps (AMM). Pour des raisons évidentes de coût, les tests subits par les génériques ne concernent ni l’activité pharmacologique, ni la toxicité, mais juste la mesure de certains paramètres pharmacocinétiques. Le générique d’une spécialité de référence a la même composition qualitative et quantitative en principe actif et la même forme pharmaceutique, et sa bioéquivalence avec la spécialité de référence a été démontrée par des études de biodisponibilité « appropriées » (directive européenne 2004/27). Et sur le plan pharmacologique ? Certains sont dits identiques, fabriqués sur les mêmes chaînes de fabrication par le même laboratoire. Certains sont dits de composition et de forme semblables lorsque la composition est la même, mais le site de fabrication et son processus ne sont pas les mêmes. Il peut y avoir de petites différences d’impureté, de résidus ou des traces de solvants. Certains sont dits essentiellement similaires quand la composition en principe actif est la même avec des excipients différents : c’est le cas de la plupart des génériques des médicaments antiépileptiques (MAE). Certains de ces excipients peuvent avoir « des effets secondaires notoires », ce qui est signalé par la mention « contreindiqué en cas d’hypersensibilité à l’un des constituants ». Certains peuvent avoir des différences de taux de dissolution, d’absorption de stabilité, ce qui peut en théorie faire varier les paramètres pharmacologiques. Pour cela, le législateur a prévu de comparer la « bioéquivalence » des génériques à celle des MAE princeps. On mesure chez des hommes sains la concentration en principe actif au cours du temps après une prise unique en double aveugle soit du générique, soit du princeps. Par postulat, s’il n’y a pas plus de - 20 à + 25 % de variation des paramètres mesurés (Cmax et Tmax), le générique est considéré comme bioéquivalent et accepté. Quelques pharmacologues font remarquer que certaines variations en prise unique peuvent s’amplifier après des prises multiples ; que les pharmacocinétiques ne sont pas toujours linéaires ; que chez les malades, le résultat n’est pas toujours le même que chez des adultes jeunes et bien portants, que l’efficacité n’était pas démontrée… Enfin, ces tests ne sont pas réalisés entre les génériques d’un même MAE, et la variation pourrait atteindre en théorie alors - 36 à + 56 %. Plusieurs publications comparant génériques et princeps font état de résultats contradictoires, certaines disant que la tolérance et l’efficacité sont les mêmes, alors que d’autres retrouvent des différences… En France, le neurologue est rarement averti de la substitution. Les conséquences de la substitution Pour le neurologue Plusieurs enquêtes ont été menées sur l’utilisation des génériques en France (1), dans les pays germanophones (2) et aux États-Unis (3). Ces études n’ont pas de valeur statistique, mais les résultats sont assez comparables : entre 30 et 60 % des médecins interrogés ont rencontré des problèmes lors de la substitution (MAE princeps par générique ou l’inverse, ou encore générique par un autre générique) que ce soit des récidives de crises, des effets secondaires nouveaux, des consultations ou hospitalisations supplémentaires… Il n’existe pas de preuve de type « evidence based medicine » de l’équivalence thérapeutique chez des patients, simplement une très forte présomption d’experts, et on est surpris de constater un certain nombre de publications signalant des récidives de crises chez des patients bien équilibrés. La dernière en date (Berg et coll. Neurology 2008) 4 sur 50 patients montre qu’il existe des variations inattendues de taux sanguin avec le générique chez ceux qui récidivent. En France, le neurologue est rarement averti de la substitution : ce n’est pratiquement jamais lui qui la prescrit, c’est le pharmacien qui s’en charge. Mais c’est souvent le médecin qui recevra le patient en cas de problème. Progressivement la question « Avez-vous été substitué ? » doit faire partie de son interrogatoire. Quand un événement indésirable survient, il est bien rare que le patient se souvienne quelle marque de générique il prend ou si on a récemment changé de générique, ce qui ne favorise pas les signalements de pharmacovigilance. Un autre effet indirect de la substitution est la disparition de la visite médicale concernant les MAE. Or, les visiteurs médicaux sont une source facile d’accès aux informations sur les MAE, et ce sont souvent eux qui rapportent les effets secondaires que signalent les médecins. Pour les patients L’épilepsie est une pathologie particulière, car les patients ne sont malades que quelques secondes ou minutes chaque mois ou chaque année. La survenue d’une crise est tout à fait imprévisible, et cette « épée de Damoclès » a des effets anxiogènes intenses, qui peuvent eux-mêmes entraîner des troubles du sommeil et… favoriser les crises. Quand l’équilibre est atteint, les patients retrouvent progressivement leur travail, leur permis de conduire..., mais la survenue d’une seule crise peut tout remettre en question. Ce n’est pas le cas dans d’autres spécialités, une hausse d’un ou deux points de la tension artérielle ou du taux de cholestérol n’ont pas de conséquences aussi immédiates qu’une crise d’épilepsie. Il s’agit bien d’une pathologie particulière. La substitution peut aussi être source d’erreurs des patients, prise du générique en plus du princeps ou pas de prise du tout car le médicament a changé… Deux études menées au Canada démontrent enfin que beaucoup de patients épileptiques préfèrent revenir au médicament princeps après avoir été substitués, quitte à payer de leur poche la différence de prix (5) (31 % des patients sous Neurontin ® ; 27,5 % des patients sous Lamictal® ; 20,8 % de ceux sous Tégrétol®…). Pour les hypolipémiants, les antidépresseurs, la proportion de patients revenant volontairement au princeps est de 1,5 à 2,9 % (6). Beaucoup de patients épileptiques préfèrent revenir au médicament princeps. Plusieurs enquêtes auprès de patients montrent que presque 30 % supportent mal la substitution (11 % d’augmentation du nombre de crises ; 10 % de troubles subjectifs ; 9 % d’effets secondaires nouveaux). Par ailleurs, la substitution s’ajoute à l’anxiété chez 35 à 58 % des patients (Goodwin M., 2005 : 1 835 patients (7) ; Haskins LS et coll., 2005 : 974 patients (8)). Enfin si, comme c’est recommandé, ils ne veulent pas changer de générique, il faudrait avoir une garantie qu’il reste disponible dans le temps (poursuite de fabrication) et dans la géographie (d’une pharmacie à l’autre, d’un pays à l’autre), ce qui paraît difficile à obtenir. Pour la société D’après la source Médic’am, les économies faites grâce à la substitution des MAE en France en 2006 s’élèveraient à 11 millions d’euros, dont 4,18 millions seulement pour l’indication « épilepsie » (ces MAE sont utilisés en psychiatrie, pour le traitement de la migraine, des douleurs neuropathiques…). Ce qui représente une économie de 0,00015 % sur les dépenses de médicaments. Les enquêtes médico-économiques faites au Canada montrent que la consommation médicale augmente significativement au Québec après substitution : nombre de boîtes par an et par patient5 : de 20,4 à 24 boîtes, posologies + 5,1 %, consultations de 8,7 à 9,8 visites/an, journées d’hospitalisation de 3,29 à 4,86. Dans l’Ontario, par contre chaque patient substitué coûte 7 902 dollars par an contre 6 419 dollars s’il n’est pas substitué6. Pour le pharmacien Les incitations financières initiales pour favoriser la substitution deviennent petit à petit, pour les pharmaciens, des sanctions en cas de non-substitution. De plus, il leur est impossible de stocker tous les génériques de tous les médicaments pour éviter de substituer un générique par un autre. Ils ne devraient pas changer de marque de générique pour ne pas substituer un générique par un autre générique. Toutes les sociétés savantes (États-Unis, Italie, Espagne, Allemagne, Pays nordiques, France…) ont demandé que des précautions soient prises dans la prescription des MAE dans l’indication épilepsie : soit de ne pas substituer les patients bien équilibrés, soit de ne jamais substituer un générique par un autre générique du même MAE, soit de ne pas substituer les patients prenant des doses très fortes ou très faibles de MAE pour éviter un déséquilibre d’une situation précaire. Certains pays ont même interdit la substitution (Finlande, Slovénie, Suède). Les « recommandations » de l’Afssaps Récemment, l’Afssaps a écrit aux médecins : « compte tenu des caractéristiques de la survenue des crises d’épilepsie et du rôle potentiellement favorisant de situations anxiogènes, un accent est mis sur : - la nécessité d’un dialogue entre le médecin et le patient sur la possibilité d’une substitution. Il s’agit d’expliquer aux patients ce que sont les médicaments génériques et de vérifier que leur utilisation ne suscite pas d’anxiété particulière. Si le praticien sent persister des réticences ou a fortiori des craintes, il lui est recommandé de faire en sorte d’éviter que la substitution soit pratiquée ; - la nécessité avant toute délivrance par le pharmacien de vérifier que l’ordonnance ne comporte pas une mention de non-substitution et que la substitution est pleinement acceptée par le patient. Dans ce contexte, compte tenu des enjeux sanitaires et sociaux d’une maladie qui reste mal maîtrisée dans un tiers des cas, l’Afssaps rappelle aux prescripteurs (neurologues, neuropédiatres et médecins généralistes) qu’ils peuvent s’opposer à la substitution, en mentionnant « non substituable » sur l’ordonnance des patients pour lesquels ils le jugent utile. Ce droit de mentionner « non substituable » sur l’ordonnance peut s’exercer que le médicament prescrit soit un princeps ou un générique. » Il est donc souhaité que la non-substitution dans cette indication ne soit pas sanctionnée…
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