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Addiction

Publié le 17 mai 2007Lecture 9 min

Neurobiologie de l’addiction

J.-P. Tassin Inserm U 114/CNRS UMR 7148 Collège de France, Paris
Des données neurobiologiques ont montré, il y a quelques années, que les produits qui déclenchent une dépendance chez l’homme (amphétamine, cocaïne, morphine, héroïne, cannabis, tabac, etc.) augmentent la libération d’un neuromodulateur, la dopamine, dans une structure sous-corticale, le noyau accumbens. Ce noyau fait partie d’un ensemble de structures cérébrales, dénommé « circuit de la récompense », qui définit à chaque instant l’état physique et psychique dans lequel se trouve l’individu. Ainsi, il est généralement admis que les drogues, en modifiant la cinétique et l’amplitude de la production de dopamine, induisent une sensation de satisfaction responsable des processus de dépendance. Nous proposons maintenant que les drogues, lorsqu’elles sont prises de façon répétée, dissocient de façon chronique des régulations entre les neurones modulateurs, noradrénergiques, sérotoninergiques et dopaminergiques.
Le cerveau constitue un ensemble complexe de circuits neuronaux qui s’organisent en réseaux pour traiter les entrées sensorielles, les relayer jusqu’au cortex, puis les traduire en sorties comportementales ou psychiques. La grande variété des réponses comportementales nécessite que certains réseaux, et par conséquent certaines structures cérébrales, soient sélectionnés en fonction de chaque situation vécue par le sujet. Cette sélection est réalisée par un autre ensemble de neurones, modulateurs, superposé au premier circuit. Ces neurones modulateurs, minoritaires dans le système nerveux central puisqu’ils représentent moins de 1 % des cent milliards de cellules présentes dans le cerveau, comprennent les neurones sérotoninergiques, noradrénergiques et dopaminergiques. Dans cet ensemble, la dopamine tiendrait le rôle de modulateur final de l’essentiel des sorties motrices ou psychiques. C’est pourquoi une atteinte du système dopaminergique peut se traduire aussi bien par des troubles moteurs comme dans le cas de la maladie de Parkinson, que psychiques comme dans certaines psychoses, telle la schizophrénie. Dans les mécanismes de dépendance, le système dopaminergique est aussi déterminant dans la mesure où il modifie le fonctionnement d’un ensemble neuronal particulier, le « circuit de la récompense » qui relaie toutes les informations externes et internes de l’organisme et permet au sujet de reconnaître, par l’intermédiaire de perceptions extérieures, l’existence de satisfactions potentielles de toutes sortes : nourriture, chaleur, plaisir sexuel, etc. Ce circuit de la récompense est en quelque sorte un « baromètre » qui indique à l’individu l’état physique et psychique dans lequel il se trouve ou va se trouver. Les neurones dopaminergiques ne font pas partie à proprement parler du circuit de la récompense, mais leur activation stimule ce circuit et provoque une sensation de satisfaction. La dopamine, clef de voûte de la pharmaco-dépendance ? Le concept d’addiction à une substance est sans doute né avec l’héroïne, la morphine et les autres opiacés. Dans les années 1970, les neurobiologistes considéraient ces produits comme les archétypes des substances toxicomanogènes. Les psychostimulants, comme l’amphétamine et la cocaïne paraissaient appartenir à une autre classe, d’autant plus que leur mécanisme d’action, l’augmentation de la libération des catécholamines, était connu et considéré comme différent de celui des opiacés. Ce n’est qu’en 1988 qu’il fut montré que tous les produits qui déclenchent de la dépendance chez l’homme, comme l’amphétamine et la cocaïne, mais aussi l’héroïne, la morphine, le cannabis, la nicotine et l’alcool augmentent la libération de dopamine dans une structure sous-corticale, le noyau accumbens. Toutes stimulent donc, par ce biais, le « circuit de la récompense ». Chez les rongeurs, l’augmentation des taux de dopamine dans le noyau accumbens s’accompagne d’une hyperactivité locomotrice qu’il est facile de mesurer. L’injection de produits toxicomanogènes donne effectivement lieu à une hyperactivité locomotrice, même lorsqu’il s’agit de produits qui entraînent une sédation chez l’homme, comme la morphine. La dépendance correspond chez l’homme à un besoin irrépressible de reprendre du produit malgré toutes les conséquences négatives et connues que cette consommation entraîne. Nous nous sommes demandés quelle pouvait être la modification à long terme du système nerveux central susceptible d’expliquer cette attitude compulsive que certains produits déclenchent. Chez les rongeurs, l’hyperactivité locomotrice due à l’administration de produits toxicomanogènes augmente avec la répétition des prises, et se maintient ensuite plusieurs mois après le sevrage. Ce phénomène s’appelle la sensibilisation comportementale et semble correspondre à l’hypersensibilité à l’environnement que ressent le toxicomane, même après plusieurs mois d’abstinence. Nous avons donc recherché quel était le substrat neurobiologique de cette sensibilisation comportementale.   Les neurones dopaminergiques (en rose) issus de l’aire tegmentale ventrale (ATV) innervent le cortex préfrontal et le noyau accumbens. Les neurones noradrénergiques (en bleu) issus du locus coeruleus interagissent avec les neurones dopaminergiques au niveau des cellules pyramidales glutamatergiques par l’intermédiaire des récepteurs a 1b-adrénergiques (2,3). Ces dernières (en vert) envoient des projections sur le noyau accumbens et l’ATV. Les neurones sérotoninergiques (en jaune) contactent les neurones dopaminergiques directement au niveau de l’ATV et indirectement dans le cortex préfrontal par l’intermédiaire des récepteurs 5-HT2A. Enfin, les neurones noradrénergiques contactent les cellules sérotoninergiques des raphés dorsal et médian (RD et RM) par les récepteurs a 1b-adrénergiques, et les neurones sérotoninergiques régulent les fibres noradrénergiques par l’intermédiaire des récepteurs 5-HT2A, situés sur des interneurones, localisés autour du locus coeruleus (5). Rôle des récepteurs a 1b-adrénergiques et 5-HT2A Dans un premier temps, avec Laurent Darracq puis Candice Drouin, nous avons montré que l’hyperactivité locomotrice, induite par les drogues, provient initialement de l’activation des neurones noradrénergiques et de la stimulation d’un sous-type de récepteur noradrénergique, le récepteur a 1b-adrénergique. Ces travaux, réalisés en utilisant un antagoniste a 1- adrénergique, la prazosine, furent confirmés sur des souris dépourvues de récepteur a 1b-adrénergique. Non seulement, les réponses locomotrices aux psychostimulants et aux opiacés de ces animaux étaient considérablement diminuées, mais ces souris étaient aussi devenues insensibles aux effets récompensants de la cocaïne. Ces animaux mutés restaient néanmoins partiellement réactifs à la morphine, ce qui suggérait l’existence d’au moins une autre composante que la composante a 1b-adrénergique. C’est Agnès Auclair qui a montré en 2004 qu’il n’existe qu’une seule autre composante et qu’elle est due à la stimulation de récepteurs sérotoninergiques de type 5-HT2A. En effet, le blocage pharmacologique des récepteurs 5-HT2A chez les souris dépourvues de récepteur a 1b-adrénergique, ainsi que le blocage pharmacologique des deux récepteurs a 1b-adrénergique et 5-HT2A chez des souris sauvages faisaient totalement disparaître non seulement les réponses comportementales aux drogues, mais aussi la libération de dopamine. L’analyse de ces deux composantes s’est poursuivie en étudiant la réaction aux psychostimulants de souris dépourvues de récepteur 5-HT2A. Contrairement à ce qui était attendu, ces souris se sont avérées hyperréactives à l’amphétamine. Qui plus est, la libération de noradrénaline dans le cortex frontal de ces souris mutées était beaucoup plus importante lors d’une injection d’amphétamine que celle observée chez les souris sauvages. De façon complémentaire, les souris dépourvues de récepteur a 1b-adrénergique se sont avérées hyperréactives à un produit qui libère la sérotonine, la parachloro-amphétamine. La libération de sérotonine du cortex frontal dans ces conditions était plus importante chez les souris mutées que chez les souris sauvages. Le découplage noradrénaline-sérotonine Nous avons alors proposé l’existence d’une régulation réciproque entre les neurones noradrénergiques et sérotoninergiques par l’intermédiaire des récepteurs 5-HT2A et a 1b-adrénergiques respectivement. L’absence d’un récepteur (par exemple, 5-HT2A) chez une souris mutée entraînerait l’hyperréactivité de l’ensemble neuronal complémentaire (dans ce cas, les neurones noradrénergiques). Ce couplage entre les neurones sérotoninergiques et noradrénergiques, dont nous faisons l’hypothèse chez les souris sauvages, permettrait à chaque ensemble neuronal de limiter ou d’augmenter l’activation de l’autre ensemble. Mais le résultat le plus important de ce travail est sans doute la démonstration que quatre administrations d’une dose moyenne d’amphétamine suffisent à augmenter la réactivité des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques de façon permanente, suggérant ainsi que le couplage entre ces deux ensembles neuronaux disparaît lors de la répétition de prises de drogues toxicomanogènes. Outre le fait que ces données permettent d’expliquer de façon nouvelle la sensibilisation comportementale, elles indiquent, si elles se confirment avec d’autres drogues, que la pharmacodépendance est due à la rupture d’une régulation mutuelle entre les neurones noradrénergiques et sérotoninergiques. Chez les personnes dépendantes, l’absence de régulation entre ces deux ensembles neuronaux ferait réagir chacun des ensembles de façon non limitée et désynchronisée, une hyperréactivité qui pourrait expliquer l’extrême sensibilité des toxicomanes aux émotions. Reprendre du produit permettrait un soulagement temporaire, la drogue ramenant le réseau dans l’état d’équilibre qui permet à l’absence de couplage d’être supportable. L’état du réseau sous drogue serait, en effet, identique aux états induits de façon répétée par les prises de drogue qui ont conduit à la disparition du couplage. 

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