Publié le 16 mar 2008Lecture 12 min
Physiopathologie de la sclérose latérale amyotrophique : une nouvelle ère
W. CAMU, Clinique du motoneurone, service de Neurologie, Hôpital Gui-de-Chauliac, Montpellier
La sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une des plus graves maladies neurodégénératives et touche les motoneurones centraux et périphériques. La SLA atteint autant les hommes que les femmes, adultes, à tous les âges (âge moyen de début : 60 ans). Malgré la description en 1993 des formes familiales liées aux mutations du gène de la superoxyde dismutase de type 1 (SOD1), les causes de la maladie restent largement inconnues. Ces trois dernières années, toutefois, des avancées importantes ont été réalisées, avec des implications thérapeutiques diverses et parfois novatrices.
Maladie du motoneurone, la sclérose latérale amyotrophique (SLA) a été jusqu’à présent considérée comme une maladie où le neurone était la seule cible du processus pathologique, et les stratégies de ces 20 dernières années se sont focalisées sur la découverte de moyens permettant de protéger cette cellule ou de mieux connaître les causes de l’atteinte du motoneurone (MN). Même si elles n’ont pas permis de déboucher sur des options thérapeutiques concrètes, les formes familiales avec mutation SOD1 ont ouvert la possibilité de créer des modèles animaux, souris (souris SOD1) et parfois rat, où le processus de neurodégénérescence peut être observé. Ce modèle est à l’origine d’une grande partie des avancées récentes. Un de ses apports essentiels a été de souligner l’importance des cellules de l’environnement neuronal dans la maladie, soit dans son initiation, soit dans sa diffusion. Nous allons ainsi essayer de souligner, cellule par cellule, les avancées spécifiques et les potentialités thérapeutiques qui en découlent. Le neurone, la cible finale Si le motoneurone n’est peut-être pas la cible primitive de la maladie, ce qui est en effet actuellement remis en cause, il en demeure la cible finale qu’il faut au moins préserver pour limiter ou éviter la paralysie progressive. Les travaux sur les souris SOD1 ont permis de suggérer que les mutations conféraient une toxicité à la SOD1. Cette toxicité vient apparemment du couplage protéine normale-protéine mutée. L’équipe de Don Cleveland (La Jolla, Californie) a privilégié la stratégie SOD1 normale et, par administration d’oligonucléotides anti-sens à la souris, une réduction des taux de SOD1 a été obtenue (Smith et coll., 2006). Cette réduction s’accompagne d’une atténuation de l’évolutivité de la maladie murine. Des résultats similaires ont été publiés avec l’utilisation d’ARN interférent. Mais la SOD1 peut aussi être ciblée par des anticorps spécifiques. Ceux-ci ont été obtenus par le groupe de J.-P. Julien à Québec et, là encore, une diminution de l’évolutivité de la maladie murine a été observée (Urushitani et coll., 2007). La mutation SOD1 amène à la mort cellulaire. Des cascades protéiques ont été impliquées, dont les chaperones. Ces dernières se lient aux autres protéines pour leur permettre d’aller soit sur leur site d’activité, soit d’être dégradées. L’augmentation d’expression des chaperones, dont les protéines HSP, atténue l’influence des mutations SOD1 sur les MN en culture. Chez l’animal, l’augmentation d’expression d’HSP70 est bénéfique et une molécule, l’arimoclomol, qui accroît le niveau d’expression d’HSP70 est maintenant en phase d’essai aux États-Unis. La phase plus avancée de mort cellulaire dépend de molécules plus « terminales », comme les caspases. Les inhibiteurs de caspase sont des candidats intéressants, mais les bénéfices observés in vitro n’ont guère été concrétisés in vivo. Le groupe de J. Rothstein, qui crible les molécules sur un modèle de mort cellulaire, a identifié un lot de molécules candidates. Parmi celles-ci, la ceftriaxone et, plus globalement, les bêtalactamines ont un effet notable qui a déjà anciennement été suspecté (Rothstein et coll., 2005). Des essais sont en cours… La SLA, une maladie du muscle ? La SLA est-elle une maladie du muscle ? Ce débat a très anciennement opposé nos maîtres Aran, Duchenne et Charcot, et les travaux des équipes parisiennes et strasbourgeoises l’ont réalimenté. Une protéine, un réticulon, Nogo-A est apparemment spécifiquement surexprimée dans le muscle des malades. Nogo-A est physiologiquement responsable d’une inhibition de la croissance neuritique en réponse à une lésion axonale. Elle va pouvoir aussi jouer un rôle modulateur sur la stabilité de la jonction neuromusculaire. La surexpression de Nogo-A est toutefois parallèle à l’évolution de la SLA, ce qui en fait peut-être plus un marqueur évolutif qu’étiologique. Néanmoins, l’expression de Nogo-A n’est pas retrouvée dans les muscles de sujets porteurs d’autres pathologies (données récemment controversées), la diminution de l’expression de Nogo-A chez la souris atténue la maladie de souris SOD1 mutées, et l’augmentation de l’expression de Nogo-A favorise la dénervation chez la souris malade (Jokic et coll., 2006). Comme marqueur diagnostique, Nogo-A présente le désavantage de nécessiter une biopsie musculaire. Si sa spécificité se vérifie, son usage diagnostique dans les cas difficiles sera un apport important. Une protéine Nogo-A est apparemment spécifiquement surexprimée dans le muscle des malades. Regain d’intérêt pour le rôle de la microglie La microglie a été longtemps peu considérée dans les maladies dégénératives et fait maintenant l’objet d’un regain d’intérêt. Elle est physiologiquement activée en réponse à une agression du système nerveux et a pour rôle, en particulier, de protéger les neurones. Elle dégénère également dans les maladies comme l’Alzheimer. Toutefois, des paramètres d’activation anormale de la microglie ont été observés dans la SLA. Ainsi, la microglie issue des souris SOD1 a une action toxique sur les MN en culture. Cette activation de la microglie s’accompagne d’une synthèse (par la microglie ? par les neurones ?) de cytokines dites inflammatoires, neurotoxiques, telles que IL-6 ou TNF-a, et met aussi en jeu des récepteurs TLR4 (toll like receptor). Elle peut être bloquée par le resvératrol, dont l’utilisation clinique est envisagée (Zhang et coll., 2005). Des paramètres d’activation anormale de la microglie ont été observés dans la SLA. L’activation microgliale peut aussi être diminuée par les lymphocytes CD4. Ainsi, des souris SOD1 qui n’expriment pas les lymphocytes CD4 ont une maladie plus active. La greffe de moelle osseuse restaure le taux de CD4 et atténue la maladie. Prenant enseignement de ces éléments, l’équipe de Don Cleveland a utilisé un modèle murin où l’on peut réguler l’expression de la mutation SOD1 dans des types cellulaires différents. La diminution de l’expression de SOD1 dans les MN ralentit la maladie comme attendu. Mais, la diminution de l’expression de SOD1 exclusivement dans la microglie ralentit la maladie dans des proportions encore jamais atteintes à ce jour dans un modèle animal (Boillée et coll., 2006). Ces données ouvrent des potentialités thérapeutiques notables et construisent un modèle évolutif original de la SLA. Ainsi, il y aurait une attaque initiale touchant quelques MN puis une diffusion de la mort cellulaire dont le mécanisme serait indépendant des neurones eux-mêmes, lié à la microglie qui aurait ainsi une autonomie et qui ne serait pas modulable par des antiapoptotiques neuronaux, expliquant l’inefficacité des facteurs neurotrophiques dans la SLA. Le riluzole est capable de diminuer l’activation microgliale selon les travaux de Mc Grath ; ceci serait peut être le réel mode d’action de cette molécule, la seule ayant l’AMM dans la maladie. Des arguments pour une cause métabolique générale Deux grandes voies métaboliques pourraient être impliquées : l’oxygénation tissulaire et le métabolisme du cholestérol. L’oxygénation tissulaire En 2001, le groupe de Carmeliet a présenté un modèle murin de SLA lié à la suppression du promoteur de VEGF. Le VEGF est un peptide induit par l’hypoxie et responsable, entre autres, d’une angiogenèse. Il a fait l’objet de travaux importants en oncologie. Son rôle neurotrophique a été démontré, en particulier sur le MN. Le traitement des souris SOD1 par du VEGF recombinant a été favorable sur l’évolution de la maladie murine. Chez l’homme, des taux bas de VEGF ont été retrouvés dans le LCR des malades SLA. Bien plus, des taux anormalement abaissés en conditions hypoxiques ont été mis en évidence, alors que chez le sujet non SLA, les taux de VEGF sont élevés (Moreau et coll., 2006). Ces travaux ont permis de dessiner un modèle de SLA où les sujets seraient porteurs d’une altération chronique des processus de régulation de l’oxygénation tissulaire. Des conditions favorisantes, telles que le sport, une activité physique régulière, le confinement, pourraient alors être des facteurs additifs suffisants pour créer des conditions de souffrance neuronale. La microglie ferait le reste. La fréquence de l’activité physique intense chez les patients atteints de SLA est en faveur de ce modèle : on note, en particulier, un risque très augmenté de SLA chez certains sportifs (footballeurs professionnels en Italie, marathoniens en Irlande). On note un risque très augmenté de SLA chez certains sportifs. Le métabolisme du cholestérol Par le passé, une association avec les polymorphismes de ApoE a été évoquée puis largement remise en cause. L’équipe de J.-P. Loeffler (Strasbourg) associée à celle de V. Meininger (Paris) a décrit une atténuation de la maladie chez les souris porteuses d’une hypercholestérolémie. Les travaux chez l’homme ont récemment permis de retrouver dans la SLA des taux de cholestérol deux fois supérieurs à ceux des témoins, 65 % des patients SLA étant hypercholestérolémiques. Les patients SLA, dont les rapports LDL/HDL étaient élevés, avaient une évolution de leur maladie de 15 mois plus longue que les autres. Des avancées récentes en matière de prédisposition génétique L’année 2007 a été particulièrement fructueuse en études de grande envergure dans la SLA à l’aide de puces à ADN. Depuis la description des mutations SOD1 en 1993, aucune nouvelle mutation n’a été décrite, bien que des locus dits candidats aient été identifiés. Parmi ces locus, celui situé sur le chromosome 9 est l’objet de toutes les attentions. Initialement relié aux SLA-démence, il a pu être impliqué également, à la faveur de travaux récents, dans certaines familles ne présentant pas de démence. À cette heure, le gène n’est pas connu, mais la convergence des auteurs sur cette région permet d’espérer une solution pour 2008. À côté des gènes mutés, les études d’association ont été nombreuses. La paraoxonase semble faire l’unanimité. Le lien avec la SLA n’est pas très fort, mais il est significatif et retrouvé par plusieurs auteurs. Cette enzyme permet de détoxifier l’organisme en particulier vis-à-vis des organophosphorés. Elle joue aussi un rôle dans les processus oxydatifs. Deux études, une américaine et une européenne, ont réalisé un criblage génomique à grande échelle, utilisant plusieurs centaines de patients et de témoins. Les résultats, pour significatifs qu’ils soient, sont un peu décevants. Chaque travail a identifié un locus de susceptibilité à SLA ne conférant un risque de SLA seulement multiplié par 1,3 à 1,6 fois par rapport à celui de la population générale. L’éléphant accouche-t-il d’une souris ? Dans le travail américain, la protéine candidate est présente et exprimée dans la SLA et peut devenir un nouveau marqueur, sous le nom de code, pour les curieux, de FLJ10986 (Dunckley et coll., 2007). Il restera à prouver que cela a un impact sur la maladie et sa connaissance. On retiendra que si le risque relatif est ici de 1,3 à 1,5, le risque relatif de SLA chez certains sportifs est de 20, suggérant que les facteurs environnementaux sont nettement plus influents sur le risque de développer une SLA que les facteurs génétiques. Les facteurs environnementaux sont nettement plus influents sur le risque de développer une SLA que les facteurs génétiques. Essais thérapeutiques : quoi de neuf ? Un résumé hâtif permettrait d’écrire : rien de nouveau ou pire que du négatif. En effet, plusieurs essais ont eu des résultats négatifs (oxygène hyperbare, nolvadex, célécoxib, pentoxyfilline) et, un plus récent, des résultats nocifs, la minocycline. Les patients sous ce dernier traitement se sont en effet aggravés plus vite que sous placebo (Gordon et coll., 2007). Faut-il jeter le produit qui a pourtant fait ses preuves en tant qu’antiapoptotique ? Probablement pas, disent les Européens, car la dose utilisée aux États-Unis a été forte, 400 mg/j, soit 4 fois la dose conseillée dans l’AMM antibactérienne ! De plus, il existe des interactions précises au niveau cérébral entre minocycline et riluzole, interactions non connues à l’époque et donc non prises en compte dans l’étude. Deux essais thérapeutiques sont en cours en France. Les deux utilisent des molécules dites neuroprotectrices, mais surtout des molécules qui peuvent moduler la microglie. Résultats en 2008. Conclusion De très nombreux travaux dessinent progressivement le schéma pathogénique de la SLA. Dans ce domaine, le modèle de souris SOD1 semble un outil très utile, même si pour l’heure, à part le riluzole, aucune molécule efficace chez la souris n’a montré un effet chez l’homme. Le champ de compréhension s’élargit et l’on sait désormais que le motoneurone n’est pas le seul acteur d’une neurodégénérescence, dont l’usage même du terme devient peut être obsolète. Cette mise en évidence d’acteurs nouveaux comme la microglie ou l’hypoxie donne autant de candidats thérapeutiques potentiels et, à ce jour, plus de candidats que l’on n’en a jamais eu. Une ère semble donc s’ouvrir dans la SLA, celle de la thérapeutique. Espérons qu’elle porte autant ses fruits que cela est le cas dans la sclérose en plaques, par exemple.
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