Publié le 02 avr 2008Lecture 11 min
Téléphone mobile et tumeurs du système nerveux central : l’étude INTERPHONE
Ch. Goeury, École nationale de Santé Publique, Département EGERIES
Avec le fort développement des télécommunications, les sources d’émissions de champs électromagnétiques (CEM) se sont multipliées. Ces dernières années ont vu l’émergence d’une source aujourd’hui largement répandue : les tFéléphones mobiles. Actuellement, plus de deux milliards de téléphones mobiles sont utilisés dans le monde. En France, il y a environ 60 000 stations de base et un peu moins de 50 millions d’utilisateurs de téléphone mobile. S’il n’est pas question de remettre en cause les avantages énormes apportés par les radiofréquences (RF) dans la vie de tous les jours et notamment dans le domaine de la santé et de la communication, la question de l’exposition des personnes aux RF est devenue fondamentale et constitue potentiellement un enjeu majeur de santé publique.
Téléphonie mobile et santé Principe de la téléphonie mobile Le principe de la téléphonie mobile repose sur la transmission de la voix par RF entre une station de base et un téléphone portable, sur une zone pouvant couvrir quelques centaines de mètres (milieu urbain) jusqu’à plusieurs kilomètres (milieu rural). Après avoir fonctionné en mode analogique, tous les systèmes de téléphonie mobile fonctionnent aujourd’hui en mode totalement numérique. Différents systèmes sont actuellement utilisés, mais tous reposent sur le même principe du découpage en cellules du territoire créant un « damier hexagonal » cellulaire. Ces cellules correspondent à une zone géographique et reposent sur l’utilisation d’un émetteur-récepteur central appelé Station de Base, qui est constitué d’une unité de commande et de plusieurs antennes émettrices-réceptrices fixées à un pylône ou à différents emplacements en hauteur (château d’eau, immeuble, tour, etc.). Exposition des personnes Lorsqu’il s’agit d’évaluer l’exposition des personnes dans le domaine de la téléphonie mobile, il faut considérer deux sources d’exposition distinctes. Il s’agit pour l’une des antennes des stations de base et pour la seconde des téléphones mobiles. Ces deux sources de champs RF ont en commun les gammes de fréquences utilisées, comprises entre 800 et 1 800 MHz. Les stations de base ont une puissance allant de quelques watts à plus de 100 watts, suivant la taille de la cellule considérée. Elles émettent continuellement des signaux pour localiser en permanence les abonnés, afin que les communications avec les antennes les plus proches puissent s’établir. L’exposition du public est donc permanente, corps entier, variable en fonction du trafic et quasiment toujours en champ lointain, l’utilisateur étant généralement à distance de l’antenne (au moins quelques mètres). Ainsi, au-delà des périmètres de sécurité, le public est exposé à de très faibles niveaux de champs RF, sensiblement inférieurs à ceux dus aux émetteurs de radio et de télévision. Les téléphones portables sont des émetteurs de faible énergie, l’émission maximale étant de 2 W pour le GSM 900 et de 1 W pour le GSM 1 800, avec une puissance moyenne toujours inférieure à 1/8e de cette valeur. L’exposition est en général de courte durée, à des puissances variables (fonction du type de réseau et du niveau de réception) mais s’effectue en « champ proche », à proximité immédiate de la tête et à des niveaux relativement élevés. La partie de la puissance émise par un combiné absorbée par la tête se caractérise par la « dose » de rayonnement électromagnétique RF reçue par les tissus, elle s’exprime en watts par kilogramme (W/kg) et est définie par le débit d’absorption spécifique (DAS). Cette valeur normalisée est la plus forte à proximité du téléphone mobile et décroît rapidement avec la distance. Les normes internationales imposent que le DAS d’un téléphone mobile soit au maximum de 2 W/kg et obligent les opérateurs et constructeurs à indiquer cette valeur de DAS pour tous les téléphones proposés au public. Impact sanitaire Les connaissances scientifiques des effets biologiques et sanitaires des RF de la téléphonie mobile restent, à l’heure actuelle, factuelles et ne permettent pas d’écarter, en particulier pour ce qui concerne les téléphones portables, une incidence directe sur la santé. Aujourd’hui, les seuls effets avérés associés à l’usage du téléphone sont indirects, il s’agit par exemple des accidents de voitures (1) ou encore d’éventuels problèmes d’interférence électromagnétique (interdiction d’utilisation dans les hôpitaux, les avions, etc.). Concernant les stations de base, le niveau moyen d’exposition de ces antennes ne dépasse généralement pas 1 % des valeurs limites d’exposition du public fixées par la recommandation de l’Union européenne de juillet 1999 et reprises par le décret du 3 mai 2002. Compte tenu des très faibles niveaux impliqués et dans l’état actuel des connaissances, il apparaît difficile d’attribuer un effet sanitaire quelconque aux ondes émises par les stations de base. Considérant ce consensus au sein de la communauté scientifique, les derniers travaux de recherche ont presque exclusivement porté sur les effets éventuels de l’utilisation des téléphones mobiles et se sont particulièrement intéressés aux liens avec les cancers et aux accidents de la circulation. L’étude INTERPHONE Objectifs La majorité des recherches sur la téléphonie mobile vise à mettre en évidence d’éventuels effets non thermiques liés à l’exposition aux champs RF émis par les téléphones. La proximité de la tête lors d’une communication avec un téléphone mobile pose la question d’un lien avec les tumeurs du système nerveux central. Pour tenter d’apporter des réponses, un programme international de recherche appelé INTERPHONE a été lancé en 2000. Placé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il regroupe les données de 13 pays et est coordonné par l’unité de recherche sur les rayonnements du Centre international de recherche sur les cancers (CIRC). L’étude épidémiologique INTERPHONE concerne le lien entre l’utilisation des téléphones mobiles et l’apparition ou la promotion des pathologies suivantes : • gliome du cerveau ; • méningiome cérébral ; • neurinome du nerf acoustique ; • et tumeur de la glande parotide. Les 13 pays impliqués (Allemagne, Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Israël, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni, Suède), ont suivi à quelques variantes près le même protocole(2) et utilisé le même questionnaire. Ainsi, les données recueillies sont homogènes et le grand nombre de cas pris en compte (plusieurs milliers) permet une grande puissance statistique pour cette étude, la plus vaste sur le sujet. Les financements de l’étude ont été obtenus auprès de l’Union européenne, de l’Union internationale contre le cancer, d’organismes de financement locaux et nationaux (pour la France par exemple : l’Association de recherche sur le cancer) à hauteur d’environ 120 000 euros chacun et des opérateurs téléphoniques pour un montant de 8 000 euros chacun. Méthode L’étude INTERPHONE consiste en une série d’études épidémiologiques multicentriques, de type cas-témoins. Dans chacun des pays participants, un groupe de sujets atteints d’une ou des pathologies étudiées (cas âgés de 30 à 59 ans) est comparé à un groupe de sujets non malades (témoins, appariés sur l’âge et le sexe) par rapport à leur utilisation antérieure du téléphone mobile. Après sélection, le nombre de cas retenus de gliomes et de méningiomes (à un stade grave ou bénin) était d’environ 6 000, le nombre de cas de neurinomes du nerf acoustique de 1 000 et de tumeurs des glandes salivaires parotides de 600. Pour la France, le regroupement de cas s’est effectué sur la Communauté urbaine de Lyon et sur l’Ile-de-France, et comportait 96 cas de gliomes, 149 cas de méningiomes, 113 cas de neurinomes pour 475 témoins au total. Les données sont recueillies par un enquêteur à l’aide d’un questionnaire et d’un entretien personnalisé et approfondi. L’objectif est d’apprécier l’usage du téléphone mobile et d’autres expositions afin de détecter d’éventuels facteurs génétiques ou environnementaux susceptibles d’être aussi des facteurs de risque. Des études de validation rétrospectives et prospectives sont en cours ou finalisées pour certaines(3,4), elles permettront de recouper les données auto-rapportées sur l’usage du téléphone et les informations obtenues des opérateurs de téléphonie mobile et des données tirées des téléphones eux-mêmes. Résultats Dans le cadre de l’étude INTERPHONE, 12 articles ont à ce jour été publiés, ils présentent les résultats intermédiaires pour différents pays ou regroupements de pays et différentes pathologies. Il s’agit des résultats de la Suède(5,6), du Danemark(7,8), du Royaume-Uni(9), de l’Allemagne(10,11), du Japon(12) et de la France(13) dont les résultats ont été publiés tout récemment. De plus, deux articles présentent les résultats des analyses regroupant, pour le premier, tous les cas de neurinomes de l’acoustique(14), pour le deuxième, tous les cas de gliomes(15), de 5 pays (Suède, Finlande, Danemark, Norvège, Royaume-Uni). Concernant les méningiomes et les tumeurs de la glande parotide aucune augmentation significative du risque n’a été observée dans les différentes études. Concernant les gliomes et les neurinomes de l’acoustique, les premiers résultats n’indiquent pas, pour un usage régulier du téléphone mobile (au moins une fois par semaine, depuis moins de 10 ans), d’augmentation du risque. Cependant, chez les utilisateurs « intensifs » du téléphone mobile certaines études indiquent : • une augmentation signifi-cative du risque pour les neurinomes de l’acoustique. Ces deux études (suédoise[5] et groupement de 5 pays[14]), avec un nombre de sujets important, mettent en évidence une augmentation significative du risque du côté ipsilatéral à l’utilisation du téléphone portable RC = 3,9 ; IC 95 % : 1,6-9,5 pour l’étude suédoise respectivement 1,8 [1,1-3,1] pour l’autre étude ; • et parfois significative, du côté ipsilatéral pour les gliomes. L’étude anglaise(9) trouve une augmentation significative du risque de développer un gliome avec un rapport de côte RC = 1,24 [1,02-1,52]. L’étude suédoise(6) avec un RC = 1,8 [0,8-3,9], l’étude allemande(10) avec un RC = 2,2 [0,94-5,11] et l’étude française(13) avec un RC = 2,18 [0,98-4,83] montrent une élévation non significative des gliomes ipsilatéraux. Conclusion Cette étude multicentrique est considérable. La mise au point, le recueil et le traitement des données aura duré plus de 7 ans, avant que les résultats finaux ne puissent être publiés (attendus pour 2008). Les premiers résultats ne mettent pas en évidence d’augmentation du risque pour moins de 10 ans d’utilisation régulière du téléphone mobile. Pour les plus gros utilisateurs de téléphone mobile, il y a des indications statistiques en faveur d’une augmentation du risque de survenue de gliomes et de neurinomes de l’acoustique. Cependant, ces études ne sont pour le moment pas décisives, les résultats divergent, et comportent une marge d’erreur importante. Il faut encore attendre les résultats globaux d’INTERPHONE qui devraient apporter une puissance statistique plus significative. Il y aura aussi toujours des limites à l’interprétation des résultats compte tenu des biais possibles. Par exemple, les biais de « mémorisation » tels que la surévaluation possible des malades, 10 ans plus tard, de leur usage du portable du même côté que la tumeur ou les biais de sélection dans le cas où les personnes témoins ne constitueraient pas un échantillon représentatif de la population. Enfin, les effets à « très long terme » n’ont pas été pris en compte, l’étude INTERPHONE ne pourra donc pas détecter si les téléphones mobiles ont un effet carcinogène avec une période de latence de plus de 10 ans. Il faudra encore attendre les résultats d’études ultérieures pour établir une conclusion définitive. Cependant, les recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) d’appliquer le principe de précaution pour le téléphone mobile paraissent se justifier* : réduire les niveaux d’exposition lors des appels : • utilisation du kit main libre, • achat d’appareil à DAS faible, • limitation de l’usage lors de déplacement rapide (train), en cas de conditions de mauvaise réception, • limitation de l’utilisation pour les jeunes enfants (potentiellement plus sensibles ?) ; informer le consommateur ; proscrire l’utilisation du téléphone au volant, avec ou sans kit main libre pour réduire le danger le plus immédiat lié à l’utilisation du téléphone mobile : l’accident de la voie publique ! *Ce qui n’est pas le cas pour les antennes relais de la téléphonie mobile, pour lesquelles s’appliquerait plutôt le « principe d’attention ». En effet, les antennes sont considérées comme n’ayant pas d’impact sanitaire potentiel. Cf. Avis AFSSET 2003 et 2005.
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