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Imagerie

Publié le 03 nov 2009Lecture 13 min

Tomoscintigraphie cérébrale au DaTSCAN : une imagerie de choix dans la démence à corps de Lewy

P. TELLIER, I.-L. DELBARRE, P. LE COZ, Centre de Médecine Nucléaire de l’Artois, Arras
La démence à corps de Lewy (DCL) est l’une des démences les plus fréquentes. Sa prévalence lui vaut de venir en seconde position avec les démences vasculaires, juste après les démences de type Alzheimer (DTA). Elle semble être assez étroitement associée à la maladie de Parkinson, mais aussi aux DTA, selon des mécanismes pathogéniques communs qui restent à préciser, voire à découvrir. La recherche clinique trouve ici un formidable défi tant sur le plan diagnostique que thérapeutique. À l’heure actuelle, c’est l’imagerie moléculaire ou fonctionnelle qui est la plus prometteuse dans le diagnostic positif de la DCL grâce à un radiopharmaceutique qui permet de visualiser le dysfonctionnement des transporteurs présynaptiques de la dopamine. Il s’agit de l’ioflupane marqué par l’iode 123 ou encore 123 I-FP-CIT (DaTSCAN), dont l’utilité a été clairement démontrée dans le diagnostic précoce de la maladie de Parkinson idiopathique, et des syndromes parkinsoniens, pour lesquels une AMM a été obtenue. En 2006, cette dernière a été modifiée pour inclure une nouvelle indication qui est le diagnostic différentiel entre DCL et DTA. Les raisons de cette extension d’AMM sont développées dans cette brève mise au point.
Le diagnostic des démences est d’abord et avant tout clinique, les autres marqueurs, biologiques par exemple, n’ayant pas fait leur preuve. Le chevauchement clinique entre ces entités neurologiques complique singulièrement la démarche diagnostique, qu’il s’agisse de la DCL, des DTA ou encore de la démence de la maladie de Parkinson (DMP). L’évolution de la DCL est assez rapide, plus que celle des autres démences, mais son diagnostic clinique n’en est pas moins difficile, car ni ses symptômes, ni ses signes ne sont spécifiques (1). Certes, les altérations des grandes fonctions cognitives sont souvent au premier plan, tout comme dans les autres processus neurodégénératifs qui sous-tendent les démences authentiques. Les troubles cognitifs rencontrés dans les formes typiques de la DCL sont volontiers très fluctuants et souvent associés à des hallucinations, mais aussi à une composante psychiatrique plus ou moins structurée qui ne simplifie rien. L’existence d’un syndrome parkinsonien plus ou moins symptomatique est en outre fréquente dans la DCL, au point de la différencier des autres démences. Les signes moteurs combinent ainsi une rigidité des membres, des troubles posturaux et plus rarement un tremblement. Le diagnostic est d’autant plus difficile que le déficit cognitif l’emporte volontiers sur les troubles moteurs (2). De ce fait, il est tout à fait logique de faire appel aux techniques d’imagerie morphologiques, mais surtout fonctionnelle, pour établir le diagnostic positif de DCL avec le plus d’exactitude possible, ce qui n’est pas sans importance, d’un point de vue thérapeutique. L’existence d’un syndrome parkinsonien est fréquente dans la DCL. Certes, il n’existe aucun traitement réellement curatif, mais il est possible de recourir à des traitements symptomatiques relativement efficaces ou à des interventions non pharmacologiques visant à maintenir l’insertion sociale et familiale du patient le plus longtemps possible. Il faut aussi éviter la prescription de neuroleptiques, car les patients atteints d’une DCL y sont extrêmement sensibles, au point d’être victimes d’effets indésirables iatrogènes sérieux, voire létaux (2). Pathogénie et neuropathologie Les alpha-synucléinopathies, avec ou sans démence associée, engloberaient toute une gamme de maladies neurodégénératives, telles la maladie de Parkinson, l’atrophie multisystématisée et la DCL, cette liste n’étant pas exhaustive (3). Sur le plan neuropathologique, cette démence bien particulière se caractérise par des lésions anatomopathologiques diverses et variées incluant notamment la présence de corps de Lewy au sein du cortex et/ou du tronc cérébral. Ce signe histologique n’est nullement spécifique de la maladie et, de plus, il n’est pas rare de découvrir certaines anomalies neuropathologiques considérées comme caractéristiques des DTA chez un patient décédé d’une DCL. L’inconvénient majeur de ces stigmates neuropathologiques est de nécessiter une analyse post mortem des tissus cérébraux. Cette approche, qui entre dans le cadre de la « neuro-épidémiologie », a démontré que, chez 15 à 25 % des sujets âgés ou très âgés, il existait des lésions cérébrales évocatrices d’une DCL et/ou d’une DTA, voire d’une DMP (2) qui ne sont pas nécessairement corrélées aux troubles neurologiques. À l’heure actuelle, tisser les liens qui unissent DCL, DTA et DMP, c’est au bout du compte écrire l’histoire naturelle d’une lésion histopathologique non spécifique mais nécessaire à un diagnostic de certitude, en l’occurrence les corps de Lewy. Il pourrait exister un continuum entre ces trois formes de démence qui entreraient dans le cadre des alpha-synucléinopathies, même si ce concept unificateur ne fait pas l’unanimité chez les neurologues. Il existe pourtant des ressemblances nombreuses dans l’expression clinique, radiologique et neuropathologique de la DCL et de la DMP. Les liens entre ces trois formes de démence, auxquelles s’ajoutent les démences vasculaires, plaident en faveur de mécanismes pathogéniques en partie communs, avec en corollaire des perspectives thérapeutiques nouvelles, même s’il semble exister des différences cliniques et neuropathologiques entre ces deux démences (4). Neuro-imagerie de la DCL L’imagerie morphologique, qu’il s’agisse de la tomodensitométrie ou de l’IRM cérébrales, trouve ici ses limites, même si elle est indéniablement utile dans certaines démences complexes relevant, par exemple, d’étiologies multiples, ce qui est pour le moins fréquent. L’imagerie fonctionnelle ou moléculaire s’avère plus prometteuse (5) au travers notamment de plusieurs techniques tomoscintigraphiques qui diffèrent notamment par les radiopharmaceutiques utilisés, mais aussi par les systèmes de détection qui leur correspondent nécessairement, selon l’adage approximatif « à chaque énergie photonique son détecteur dédié » : • émetteurs de photons gamma « uniques » détectés par des gamma-caméras à double tête conventionnelles (tomoscintigraphie d’émission monophotonique ou TEMP), avec comme principaux traceurs : - le HMPAO (99m-Tc-hexamethylpropylene amine oxime) ou l’ECD (99mTc-ethylcysteinate dimer), tous deux marqués par le technétium 99m et destinés à l’étude de la perfusion cérébrale ; - l’ioflupane marqué par l’iode 123 (ou 123 I-FP-CIT) : étude des transporteurs dopaminergiques présynaptiques. • Émetteurs de positons : étude du métabolisme cérébral du glucose au moyen d’un analogue de ce dernier marqué par le fluor 18, en l’occurrence le FDG (fluoro-désoxyglucose) (encadré). La tomoscintigraphie cérébrale au DaTSCAN dans le diagnostic de la DCL Force est de constater que le diagnostic de DCL est difficile avec les seules données cliniques. La spécificité des critères émanant de divers consensus internationaux est certes élevée, mais pas encore assez pour éviter les faux positifs et augmenter le nombre de vrais positifs (6). Figure 1. Tomoscintigraphie au DaTSCAN normale, avec quantification de la fixation au sein des noyaux caudés et des putamens (coupes transverses). Bruit de fond cérébral normal. Symétrie des régions striatales. Les incertitudes cliniques tiennent aux formes atypiques de la maladie et des autres démences, par exemple, la présence de signes moteurs au cours d’une DTA ou de troubles cognitifs et/ou mnésiques sans le moindre syndrome parkinsonien cliniquement décelable1. Ces préoccupations ne sont pas que théoriques. Elles ont des conséquences thérapeutiques car en pratique, si l’efficacité des neuroleptiques atypiques peut être mise en doute, tel n’est pas le cas des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase tels la rivastigmine qui s’avèrent bénéfiques à la fois sur les troubles cognitifs et les symptômes psychiatriques de la DCL, dans une certaine mesure (7). Seule la DCL semble s’accompagner d’une dégénérescence sévère du système nigro-striatal. Il a été démontré que la TEMP après injection de DaTSCAN faisait preuve d’une bonne exactitude dans le diagnostic différentiel de la maladie de Parkinson idiopathique ou encore des syndromes parkinsoniens. De fait, parmi les divers sous-types de démences connues, seule la DCL semble s’accompagner d’une dégénérescence sévère du système nigro-striatal à la différence des DTA. Des études relativement récentes de type castémoins (8,9) ont montré que la liaison striatale de l’ioflupane marqué par l’iode 123 (DaTSCAN) était diminuée in vivo au cours de la DCL, du fait d’une perte significative des neurones dopaminergiques qui entrent dans la constitution de la substantia nigra. Les résultats d’une étude multicentrique tranversale de phase III (6), dans laquelle ont été inclus 326 malades s’avèrent assez démonstratifs. Le diagnostic de DCL était soit très probable (n = 94), soit possible (n = 57), tandis que chez les 147 autres patients, une démence du type non-DCL était vraisemblable. Dans 28 cas, aucun diagnostic précis n’a pu être porté. Les images tomoscintigraphiques après injection de DaTSCAN ont été revues et interprétées par trois observateurs indépendants qui ignoraient tout du diagnostic clinique. Cette triple lecture a reposé sur la seule inspection visuelle qui a conduit à considérer les images comme normales ou anormales. La sensibilité moyenne de cette approche a été estimée à 77,7 % dans la détection d’une DCL cliniquement probable, alors que sa spécificité a été de 90,4 % dans l’exclusion des démences autres que la DCL, le plus souvent des DTA. L’exactitude diagnostique globale a été en moyenne de 85,7 %, la valeur prédictive positive et négative (VPP/VPN) moyenne étant de, respectivement, 82,4 % et 87,5 %. L’accord entre les trois lecteurs s’est avéré excellent, avec un test Kappa de 0,87, ce qui est rare dans les études de ce type, le diagnostic reposant sur l’analyse visuelle des images, sans recours à la quantification. Figure 2. Démence à corps de Lewy (DCL). Examen au DaTSCAN anormal (coupes transverses). Élévation franche du bruit de fond cérébral. Hypofixation marquée des putamens, notamment du droit. Hypofixation modérée des noyaux caudés. Aspect typique d’un syndrome parkinsonien. Toutefois, ces performances diagnostiques ont été déterminées par rapport à un gold standard qui n’est autre que le diagnostic clinique de DCL, en quelque sorte un pis-aller en l’absence de données neuropathologiques, un avis assez largement partagé par la communauté neurologique. Les études de cohorte longitudinales offrent une vision plus objective, le suivi clinique et/ou l’autopsie servant de gold standard (10,11). L’une d’entre elles (11) a inclus initialement 325 patients atteints d’une démence, soit DCL, soit autre (non DCL). Au terme d’un suivi de 12 mois, la situation s’est précisée chez 44 participants possiblement atteints d’une DCL à l’état basal, le diagnostic étant évoqué à partir du bilan clinique et des résultats de la 123 I-FP-CIT-TEMP. Chez 19 patients (43 %), une DCL possible est devenue probable, alors que chez 7 patients (16 %), l’évolution s’est faite vers une DTA. Chez 18 participants (41 %), le diagnostic est resté possible sans plus. Sur les 19 patients du premier groupe, 12 avaient des anomalies scintigraphiques évocatrices, soit une sensibilité de 63 %. Sur les 7 patients qui ont développé une DTA, la 123 I-FPCIT- TEMP était normale à l’état basal, soit une spécificité de 100 %. Dans une autre étude également longitudinale (10), c’est l’autopsie qui a fourni les données de référence. Au terme d’un suivi de 10 ans, ont été colligées 20 observations de patients atteints d’une démence de type DCL ou autre. Chez 8 d’entre eux, le diagnostic neuropathologique de DCL a été retenu, tandis que chez 9 autres, c’est une DTA qui a été diagnostiquée à l’autopsie. La sensibilité et la spécificité de l’examen clinique initial ont été respectivement, de 75 % et de 42 % versus 88 % et 100 % pour la 123 I-FP-CIT-TEMP. Certes, ces études dans leur ensemble reposent le plus souvent sur des effectifs restreints, mais leur convergence pour ce qui est de leurs résultats, ainsi que la cohérence entre données biochimiques, neuropathologiques et tomoscintigraphiques sont à souligner. De fait, les données actuelles semblent nécessaires et suffisantes pour inciterutiliser le 123 I-FP-CIT dans le diagnostic positif précoce de la DCL et optimiser ainsi sa prise en charge thérapeutique. Ces arguments ont autorisé une extension de l’AMM en 2006 : au diagnostic de la maladie de Parkinson s’ajoute désormais celui de la DCL (2). Conclusion Trois remarques s’imposent • l’étude de la perfusion cérébrale par TEMP n’amène guère d’arguments spécifiques dans le diagnostic de la DCL, mais elle permet souvent d’éliminer une DTA ou encore une démence vasculaire, et ses performances diagnostiques sont tout à fait correctes, a fortiori si elle est couplée à une étude de la transmission dopaminergique présynaptique ; • l’étude des transporteurs dopaminergiques présynaptiques fournit des informations néanmoins plus spécifiques en faveur du diagnostic de DCL ; • l’étude du métabolisme cérébral par la FDG-TEP n’a pas d’indications en France dans le domaine des démences, mais ce n’est qu’une question de temps, car aux États-Unis, cette technique est d’ores et déjà validée et largement diffusée. Le diagnostic étiologique des démences reste un problème majeur et fréquent dans la pratique médicale courante. Les limites de l’examen clinique et de l’imagerie morphologique dans le diagnostic de la DCL ou de la DTA incitent à se tourner vers l’imagerie fonctionnelle ou moléculaire qui est l’apanage de la médecine nucléaire, tout au moins dans ce contexte clinique particulier (5). • Un des grands avantages de la TEMP est sa très large diffusion à l’échelon national et, encore plus, mondial. De ce fait, tous les services de médecine nucléaire devraient répondre à la demande des neurologues ou des gériatres. • Le 123 I-FP-CIT (ou ioflupane) est un radiopharmaceutique conçu pour étudier le transport dopaminergique présynaptique et visualiser les dysfonctionnements du striatum. La dégénérescence du complexe nigro-striatal est ainsi mise en évidence avec des performances diagnostiques satisfaisantes, certes dans la maladie de Parkinson, mais aussi dans la DCL. En revanche, aucune anomalie du système dopaminergique présynaptique n’est détectable dans les DTA ou d’autres démences moins fréquentes. Les altérations fonctionnelles révélées par la 123 I-FP-CITTEMP sont en outre corrélées aux données neuropathologiques fournies par l’autopsie, avec une sensibilité de 88 % et une spécificité de 100 %, pour ce qui est du diagnostic différentiel entre DCL et DTA. L’intérêt de cette approche diagnostique est mis en exergue en pratique courante à la fois dans la maladie de Parkinson et la DCL. Son développement devrait contribuer à découvrir ou à écrire l’histoire naturelle de certains processus neurodégénératifs au travers d’essais de phase IV, de type pragmatique. Cette forme de recherche clinique complète nécessairement les études de phase III qui ont permis d’obtenir l’AMM. En effet, il importe de vérifier, dans le monde réel (qui n’est pas celui des études contrôlées), que les performances diagnostiques d’une technique d’imagerie nouvelle sont bien à la hauteur des résultats et des espoirs suscités par les études contrôlées. Cette remarque vaut pour tous les médicaments, y compris les radiopharmaceutiques qui sont considérés comme tels.

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