Publié le 18 nov 2007Lecture 5 min
Un continuum entre trouble bipolaire et schizophrénie ?
Frank BELLIVIER, Pôle de Psychiatrie, CHU Henri Mondor-Albert Chenevier, Créteil
La distinction entre trouble bipolaire et schizophrénie est au centre de débats qui occupent la communauté psychiatrique depuis plus d’un siècle. La distinction entre démence précoce (qui va devenir la schizophrénie) et folie à double forme (qui va devenir successivement la psychose maniaco-dépressive, la maladie maniaco-dépressive puis le trouble bipolaire) est classiquement attribuée à Kraepelin, bien que de nombreuses prémices de cette distinction se trouvent chez des auteurs antérieurs.
Des arguments « contre » Au cours des années qui ont suivi, de nombreux éléments vont venir corroborer cette distinction proposée par Kraepelin : – arguments cliniques avec la description de symptômes cardinaux de la schizophrénie qui se distinguent clairement de ceux des épisodes majeurs, qui constituent les troubles cycliques de l’humeur ; – arguments évolutifs qui opposent l’évolution progressivement déficitaire de l’une à la conception classique d’une pathologie intermittente, avec une restitution ad integrum du fonctionnement, dans l’autre ; – arguments familiaux en montrant que l’agrégation familiale des troubles psychiatriques est différente ; – arguments de l’imagerie : les anomalies anatomiques (lobe temporal, hippocampe et amygdale) et fonctionnelles (amygdale) mises en évidence chez les patients schizophrènes et chez leurs apparentés de premier degré sont en effet globalement différentes de celles mises en évidence chez les patients maniaco-dépressifs et leurs apparentés ; – enfin, les profils de déficits neuropsychologiques des patients schizophrènes et bipolaires sont assez clairement différents. Au total, cette distinction proposée par Kraepelin s’est avérée féconde et la nosographie psychiatrique actuelle est clairement inspirée de cette conception dichotomique (1). Des arguments « pour » Pourtant, cette distinction n’est pas si claire. Durant les dernières décennies, de nombreux auteurs ont développé des arguments en faveur d’un concept unitaire de psychose. En faveur de cette conception : l’instabilité diagnostique, le fréquent chevauchement symptomatique, mais aussi, depuis l’avènement des antipsychotiques atypiques, la démonstration de l’efficacité de ces produits dans les deux pathologies. On constate en effet que de nombreux patients, diagnostiqués initialement schizophrènes, voient leur diagnostic corrigé au bout de quelques années en faveur d’un trouble bipolaire. D’autres, au contraire, présentent une pathologie initialement cyclique et une évolution déficitaire plutôt de type schizophrénique. Par ailleurs, la réalité clinique indique la grande fréquence des symptômes psychotiques dans le cours évolutif d’un trouble bipolaire et l’existence d’authentiques épisodes thymiques émaillant l’évolution d’une schizophrénie. L’existence d’un continuum est illustrée par la très grande difficulté à trouver un consensus pour définir une catégorie diagnostique du « trouble schizo-affectif ». De plus, de nombreux autres arguments sont venus indiquer que la distinction n’était pas si claire en termes de facteurs de risque (anomalies dermatoglyphiques, anomalies physiques mineurs, saisonnalité de naissance et de début, complications obstétricales) ou en termes d’indicateurs phénotypiques (fonctionnement prémorbide, neuroanatomique, études d’imagerie et études neuropsychologiques). Quand la génétique s’en mêle Les études génétiques ont apporté une contribution majeure à ces débats. Les études de génétique classique, tout d’abord, ont montré qu’il y avait des bipolaires chez les apparentés de schizophrènes et des schizophrènes chez les apparentés de bipolaires. De plus, la concordance entre jumeaux monozygotes augmente considérablement lorsque l’on prend en compte les deux pathologies. L’ensemble de ces données indique donc clairement l’existence d’une vulnérabilité commune. La génétique moléculaire est venue confirmer cela en indiquant l’existence de régions chromosomiques spécifiques de la schizophrénie, d’une part, de la maladie maniaco-dépressive, d’autre part, et de localisations chromosomiques communes. Cette hypothèse s’est avérée féconde, puisque des métaanalyses d’études génétiques menées dans la schizophrénie et dans le trouble bipolaire ont indiqué clairement l’existence de régions communes de vulnérabilité sur les chromosomes 10, 13, 18 et 22 (2). Des études très récentes de génétique du trouble schizo-affectif sont venues confirmer cela en identifiant des régions de vulnérabilité sur ces mêmes chromosomes. Parallèlement, des études cliniques se sont attachées à décrire les dimensions symptomatiques communes aux deux pathologies, telles que la propension à délirer ou certaines dimensions de schizotypie comme la désorganisation (3). Ces deux voies de recherche (cliniques et génétiques) se trouvent réunies dans des études toutes récentes qui ont démontré l’existence d’associations entre des marqueurs génétiques de vulnérabilité communs et certaines dimensions symptomatiques communes, et ce, dans des échantillons ayant inclus à la fois des patients schizophrènes et bipolaires (4). Dès lors, les troubles bipolaires et les troubles schizophréniques apparaissent comme des entités hétérogènes multidimensionnelles, avec la possibilité que certaines dimensions soient représentées dans les deux pathologies ; ces dimensions étant sous-tendues par des facteurs génétiques et non génétiques. L’ensemble permet de rendre compte de l’existence d’un continuum symptomatique du trouble bipolaire à la schizophrénie.
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