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Parkinson

Publié le 18 juin 2009Lecture 12 min

Manifestations psychiatriques de la maladie de Parkinson

A. COHEN, Paris
« Ils semblent courir après leur centre de gravité » disait au XIXe siècle ArmandTrousseau, à propos de la démarche si particulière des parkinsoniens : festination avec perte du ballant des bras et accélération pour éviter de tomber en avant. Décrite dès 1817 par lemédecin britannique, James Parkinson dans son ouvrage An essay on the shaking palsy1, et liée à une atteinte du locus niger et de la voie nigro-striatale reconnue depuis 1960, lamaladie de Parkinson (MP) n’est pourtant pas réductible totalement à ses seules expressionsmotrices, même si celles-ci s’avèrent les plus patentes. Longtemps ignorées ou sous-évaluées, une ou plusieursmanifestations psychiatriques contribuent largement à dégrader la qualité de vie des patients, et doivent donc être prises en compte pour une prise en charge globale de lamaladie. Le cas très célèbre du pape Jean-Paul II (souffrant longuement d’uneMP sans aucune incidence psychiatrique) constitue une sorte de contre-exemple, exceptionnel en pratique : car au décours d’uneMP,malgré une bonne gestion thérapeutique des problèmes neurologiques, la plupart des patients risquent de développer à terme certains troubles psychiatriques. Revue brève (et non exhaustive) des principaux éléments en question.
Avec une fréquence d’environ 0,15 % dans la population générale et une légère prévalence masculine (ratio hommes/femmes approchant 1,2), la MP représente statistiquement l’affection neurodégénérative la plus fréquente après la maladie d’Alzheimer (avec laquelle elle peut d’ailleurs coexister). Rare avant 40 ans, la MP connaît une progression régulière après 60 ans, sa fréquence pouvant atteindre environ 5 % vers 85 ans. Mais les données épidémiologiques n’opèrent pas toujours une distinction précise entre la MP proprement dite et les divers syndromes parkinsoniens, comme ceux imputables aux neuroleptiques ou à une maladie à corps de Lewy. En général, les symptômes d’ordre psychiatrique sont observés avec une fréquence accrue en cas de troubles cognitifs associés aux problèmes moteurs. Déjà délicate, l’évolution de la MP est alors compromise davantage, surtout en termes de perte d’autonomie, par cette altération plus ou moins prononcée des fonctions supérieures. Troubles thymiques Touchant près d’un patient sur deux, les troubles thymiques (notamment sur un versant dépressif ou de labilité émotionnelle) constituent les manifestations psychiatriques les plus fréquentes émaillant une MP. Un état dépressif peut même précéder la « signature motrice » d’une maladie de Parkinson, au point qu’en l’absence de tout antécédent évocateur, un épisode dépressif du troisième âge doit évoquer systématiquement l’éventualité d’une dépression inaugurale d’une MP, encore peu ou pas symptomatique du point de vue moteur. On estime que l’importance de la dénervation des sites dopaminergiques (aire tegmento-ventrale)2 contribuerait aux troubles dépressifs en affectant sinon le contexte « hédoniste », du moins les motivations à agir. Avec ou sans correspondance avec les fluctuations de la symptomatologie motrice (dyskinésies) ou l’administration des traitements spécifiques, cette dénervation dopaminergique serait en retour plus marquée chez les parkinsoniens souffrant de troubles dépressifs et/ou cognitifs. Autre argument en faveur d’une perturbation du « climat » dopaminergique dans le déterminisme des troubles dépressifs de la MP : leur fluctuation courante, en fonction du traitement par la L-Dopa et des variations de son efficacité thérapeutique. Un état dépressif peut précéder la « signature motrice » d’une maladie de Parkinson. Un état d’exaltation thymique (manie ou hypomanie) est également possible. Classiquement, les accès maniaques seraient stimulés par un surdosage en agonistes dopaminergiques, et ils régresseraient volontiers après une baisse de leur posologie. Mais l’aspect dépressif reste le plus fréquent. Il peut se manifester par une simple apathie chronique, avec asthénie, manque d’entrain et de communication ; ou empirer jusqu’à un accès mélancolique avec raptus suicidaire ou jusqu’à un syndrome de glissement marqué par une détérioration progressive de l’état général, souvent à l’occasion d’une maladie intercurrente ou d’une hospitalisation, et de pronostic très sombre en l’absence d’une prise en charge adaptée. Il semble toutefois que les parkinsoniens anxiodépressifs exprimeraient moins d’idées suicidaires et de culpabilité que les autres personnes déprimées3. Anxiété Associés ou non à ces troubles maniaco-dépressifs, les phénomènes anxieux sont également très fréquents. Ils consistent souvent en une tension diffuse, une irritabilité, une dysphorie, une sensation d’ennui ou d’oppression. Mais, comme pour l’aporie de la poule et l’oeuf, il est difficile de savoir quel élément préexiste vraiment à l’autre : l’angoisse est-elle une conséquence de la déchéance physique de la MP ou contribue-t-elle à pérenniser son auto-entretien ? Un cas particulier de situation anxiogène est celui des « impatiences » ou syndrome des jambes sans repos, avec nécessité de bouger sans cesse les jambes, et association possible à des sensations désagréables dans les membres inférieurs. Si d’autres facteurs sont parfois impliqués (carence martiale, diabète, médicaments antidépresseurs, neuroleptiques), la MP en est souvent révélatrice. Sans gravité particulière en lui-même, ce phénomène a, par contre, une incidence pénible sur la qualité de la vie par la fatigue, les difficultés d’endormissement et les réveils nocturnes qu’il suscite. Confusion mentale et psychose Les états confusionnels (voire d’ordre franchement psychotique) sont aussi très fréquents : un parkinsonien sur deux serait susceptible de développer tôt ou tard des phénomènes hallucinatoires (généralement visuels), frustes ou exubérants. Cette situation est évocatrice d’une évolution péjorative vers une démence comme la maladie à corps de Lewy ou une maladie d’Alzheimer. Mais pas obligatoirement, car on connaît la fréquence importante des fausses démences en gériatrie, liées en particulier à une déshydratation et/ou à une conjoncture iatrogène : surdosage ou pléthore de médicaments, surtout dans un contexte de polypathologie. Les hallucinations dans la MP peuvent aller d’une simple sensation de « déjà vu » ou de « présence » insolite à un tableau de psychose dite « floride ». Leur déterminisme reste encore mal connu, même si une participation neurologique semble probable, comme le suggère un parallèle avec l’ancienneté de la maladie, le degré de la dégradation cognitive et l’association évocatrice à des troubles du sommeil : somnolence diurne (parfois liée au rattrapage d’un sommeil nocturne altéré par d’autres troubles, comme des « impatiences »), proportion et durée plus faibles du sommeil paradoxal, coïncidence entre des phases diurnes de sommeil paradoxal et la présence d’hallucinations visuelles (liées sans doute à l’atteinte du locus subcoeruleus, une structure noradrénergique commandant le sommeil paradoxal)4. Les hallucinations peuvent aller d’une simple sensation de « déjà vu » à un tableau de psychose « floride ». Caractérisées ainsi par la fréquence des hallucinations visuelles (même si des hallucinations auditives voire cénesthésiques peuvent aussi exister), ces manifestations psychotiques dans la MP sont parfois considérées comme d’authentiques « psychoses dopaminergiques » et qualifiées ainsi, même si l’implication exacte des agonistes dopaminergiques ou celle d’une autre thérapeutique n’est pas toujours assurée dans leur physiopathologie. Comme le rappelle Philippe Le Cavorzin5, ces troubles « seraient liés à une stimulation excessive des récepteurs dopaminergiques mésolimbiques, mais une responsabilité au moins partielle de la transmission sérotoninergique a été soulevée, avec comme corollaire thérapeutique l’emploi possible d’antagonistes de la sérotonine ». Le même auteur souligne l’intérêt des neuroleptiques atypiques dans cette indication, car ces molécules « génèrent moins d’effets indésirables extrapyramidaux et possèdent également des propriétés antagonistes 5-HT » (5-hydroxytryptamine ou sérotonine). De fait, traiter les traits psychotiques de la MP a longtemps constitué une gageure singulière (et le reste en partie), puisque les neuroleptiques, molé- cules indiquées contre les psychoses, présentent précisément l’inconvénient (paradoxal, en l’espèce) d’induire des effets collatéraux de type parkinsonien : effets extrapyramidaux, syndrome pseudo-parkinsonien6 ! Addiction au traitement Bien qu’il s’agisse d’un phénomène plutôt marginal (fréquence estimée ≤ 4 %), on peut évoquer les situations où un patient (en général jeune, atteint d’une MP dès la quarantaine) détourne son traitement (notamment la LDopa) dans une finalité quasi toxicomaniaque, initiée ou renforcée par une propension à l’auto-médication et par la recherche récurrente d’un effet rapide, malgré la tendance à l’aggravation des dyskinésies, des fluctuations thymiques et des troubles du comportement. On peut alors parler d’une véritable addiction dopaminergique qui n’est pas sans rappeler certaines situations en rapport avec une stimulation dopaminergique. • Les célèbres expériences d’autostimulation cérébrale menées par James Olds et Peter Milner dès 19547 : en donnant à des rats la possibilité de s’autostimuler l’aire septale au moyen d’un levier relié à une électrode implantée, ces auteurs observèrent que ces animaux préféraient, même affamés ou assoiffés, la manipulation du levier d’« autostimulation hédoniste » à une prise de nourriture ou d’eau, allant parfois jusqu’à mourir d’inanition ! • L’intoxication au MPTP (1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydropyridine) décrite par Langston et coll. en 1983, à la suite de syndromes parkinsoniens « juvéniles » observés en Californie depuis 1979, chez des jeunes toxicomanes : ces cas ont été rattachés à une intoxication accidentelle liée à l’usage de drogues clandestines, proches des opiacés et comportant entre autres des substances dopaminergiques. • L’exposition à certains insecticides ou herbicides neurotoxiques serait responsable de MP d’origine « écotoxicologique », c’est-à-dire liée à l’incidence de produits polluant l’environnement et proches précisément du MPTP ayant intoxiqué ces jeunes toxicomanes en Californie. Selon certaines estimations épidémiologiques, l’impact de tels pesticides rémanents serait peut-être responsable « de 5 à 10 % des cas de Parkinson », une maladie en effet plus fréquente en milieu rural qu’en milieu urbain. Estimation toutefois difficile à confirmer mais justifiant, par application du principe de précaution, une vigilance particulière à l’égard des pesticides – dont certains sont accusés, par ailleurs, de réduire la biodiversité ou de compromettre la reproduction des plantes entomophiles, en contribuant à la disparition alarmante des abeilles. Troubles sexuels Parfois liés à un surdosage du traitement dopaminergique et donc amendables par sa diminution, des troubles du comportement sexuel peuvent s’intégrer à une maladie de Parkinson, surtout chez l’homme. Ces troubles s’apparentent en général à une érotisation intensive et inappropriée, pouvant surprendre ou choquer l’entourage, compte tenu de l’âge du malade et surtout du reste de la symptomatologie : tremblement des extrémités, hypertonie, akinésie, hypersialorrhée par raréfaction des mouvements de déglutition automatique… Le contraste paraît ainsi surprenant entre cette dégradation somatique avérée et une quête insatiable de partenaire sexuel (qualifiée explicitement de sexualité compulsive ou « hypersexualité »). Malgré leur faible fréquence en pratique, des conséquences médico-légales (agressions, attouchements, pulsions pédophiles) sont théoriquement possibles. Moins rares : les attentats à la pudeur (exhibitionnisme) ou certaines pratiques inhabituelles chez l’intéressé : fétichisme, fréquentation de sites pornographiques, voyeurisme, velléités d’échangisme, sadomasochisme… Des troubles du comportement sexuel peuvent s’intégrer à une maladie de Parkinson. Bien qu’ils ne soient pas stricto sensu en rapport avec la sexualité, excepté dans certaines interprétations psychanalytiques opérant un parallèle (la « régression au stade sadico-anal ») entre les thésaurisations névrotiques d’objets et la sexualité, ces problèmes sexuels peuvent être rapprochés à d’autres pathologies de nature compulsive : troubles obsessionnels compulsifs (TOC, par exemple de rangement ou de lavage) et addiction inhabituelle pour des jeux d’argent, avec la certitude de lourdes conséquences socio-économiques en perspective. En raison précisément de leurs répercussions fâcheuses pour les intérêts du patient, ces troubles doivent inciter l’entourage et le médecin traitant à solliciter l’intervention du juge des tutelles. Le magistrat appuie lui-même sa décision sur l’avis d’un expert psychiatre, en vue d’une mesure de protection juridique (curatelle ou tutelle). Mesure d’autant plus impérieuse en cas de dégradation cognitive associée. Entre neurologie et psychiatrie La disparition officielle de la spécialité de neuropsychiatrie (avec scission en une neurologie et une psychiatrie, indépendantes l’une de l’autre) ne doit pas faire oublier le caractère parfaitement arbitraire de cette vision réductrice opposant in abstracto une dimension « organique » à une dimension « psychologique ». Comme l’illustre cet exemple de la MP où la fréquence et la diversité des troubles psychiatriques assimilent cette maladie neurodégénérative à une entité authentiquement neuropsychiatrique. En définitive, plutôt que d’évoquer ses « complications psychiatriques » comme c’est parfois le cas, il vaut mieux considérer que cette affection, connue depuis près de 200 ans, fait la part presque égale aux troubles psychiatriques (balayant un très large spectre, de l’anxiété moyenne à la dépression endogène, et des troubles cognitifs légers à la démence) et aux symptômes neurologiques (tremblements, dyskinésies) emblématiques de la MP. La fréquence de ces composantes psychiatriques montre surtout que la prise en charge du malade parkinsonien ne saurait se résumer toujours à un traitement médicamenteux, mais qu’elle doit intégrer aussi une dimension pluridisciplinaire : aide ménagère, infirmière à domicile, soutien psychologique, assistante sociale… Cette collaboration entre généraliste référent, neurologue, psychiatre, paramédicaux et travailleurs sociaux vise en priorité à maintenir le plus longtemps possible l’intéressé à son domicile. Un objectif d’autant plus important que, médicalisées ou non, les places en institutions gériatriques sont fort onéreuses et rares.

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