Publié le 20 juil 2011Lecture 13 min
Sclérose en plaques et grossesse
S. VUKUSIC Service de Neurologie A et Centre de coordination EDMUS pour la sclérose en plaques, Hôpital neurologique Pierre Wertheimer, Hospices civils de Lyon ; Centre des Neurosciences de Lyon, Équipe Neuro-oncologie et Neuro-inflammation, Lyon ; Unive
La grossesse chez une patiente atteinte de SEP est un événement de vie qui, après des années de suspicion, redevient presque normal. Elle modifie peu le cours évolutif de la maladie, mais les questions de la recrudescence des poussées dans le post partum, de l’allaitement, de la péridurale, et surtout aujourd’hui de la place des traitements de fond, doivent être abordés avec anticipation.
La sclérose en plaques (SEP) touche préférentiellement des femmes jeunes, en âge de procréer. L’ impact de la maladie sur une maternité future est une question qui doit souvent être abordée rapidement après le diagnostic, tant certains a priori ont la vie dure : quelle influence la grossesse a-t-elle sur la maladie ? Quel impact la SEP a-t-elle sur la grossesse, l’accouchement ? L’analgésie péridurale, l’allaitement sont-ils sans danger ? La mise à disposition de traitements de fond immunoactifs de plus en plus nombreux pose également depuis quelques années de nouvelles questions, auxquelles peu d’études permettent encore de répondre simplement. SEP et grossesse : plus de controverse Il a longtemps été déconseillé, voire interdit, aux femmes atteintes de SEP d’avoir des enfants. Depuis 1998, l’étude PRIMS (Pregnancy in Multiple Sclerosis) permet de répondre aux patientes envisageant une grossesse en fournissant des informations fiables sur l’histoire naturelle de la grossesse au cours de la SEP. Cette étude épidémiologique observationnelle et prospective, sans intervent ion thérapeut ique et multicentrique, a été conduite chez 254 femmes enceintes ayant une SEP dans 12 pays européens entre janvier 1993 et juillet 1995. Les patientes étaient suivies par leur neurologue habituel, que celui-ci ait une activité libérale ou hospitalière, ce qui permettait de limiter un éventuel biais de recrutement vis-à-vis de cas plus graves suivis dans des services spécialisés. Les poussées L’objectif principal de l’étude PRIMS était de décrire l’évolution de la SEP en termes de poussées au cours de la grossesse et dans les deux premières années suivant l’accouchement. En comparaison avec le taux annualisé de poussées de l’année précédant la grossesse (0,7, avec un intervalle de confiance (IC) à 95 % compris entre 0,6 et 0,8), il a été observé une diminution progressive de la fréquence des poussées au cours de la grossesse, particulièrement marquée au cours du 3e trimestre (taux annualisé : 0,2 ; IC 95 % : 0,2-0,3 ; p < 0,001), puis une augmentation importante de la fréquence des poussées lors du 1er trimestre après l’accouchement (taux annualisé : 1,2 ; IC 95 % : 1,1-1,4 ; p < 0,001). Par la suite, dès le 2e trimestre, le taux de poussées était similaire à l’année précédant la grossesse (figure). Ces poussées, qu’elles surviennent au cours de la grossesse ou dans le pos t par tum immédiat , n’étaient pas plus sévères que les précédentes. Ce sont les femmes qui ont une maladie plus active cliniquement qui sont en moyenne plus sujettes aux poussées du post partum. Depuis, ces résultats ont été confirmés par d’autres. Ils peuvent être présentés de manière différente, mais utile et complémentaire pour les conseils aux patientes : • le taux de poussées au cours de l’année-grossesse, définie comme les 9 mois de la grossesse et les 3 premiers mois du post partum, était superposable à celui de l’année précédente et des années suivant la grossesse ; • enfin, seules 30 % des femmes vont effectivement présenter une poussée dans le 1er trimestre du post partum. Ce sont les femmes qui ont une maladie plus active cliniquement (une ou plusieurs poussées au cours de la grossesse ou dans l’année précédente) qui sont en moyenne plus sujettes à cette poussée du post partum, mais ces facteurs prédictifs restent peu discriminants à l’échelon individuel. Taux annualisé de poussées pour chaque trimestre dans l’année avant la grossesse, pendant la grossesse, et dans les deux années suivant l’accouchement, chez 227 femmes atteintes de sclérose en plaques. Handicap L’accumulation du handicap neurologique dans l’étude PRIMS s’est poursuivie de manière lentement progressive au cours de la grossesse et du post partum, sans cassure dans l’évolution. Ces données sont donc rassurantes sur le moyen terme. D’autres travaux se sont intéressés à l’effet de la grossesse sur l’évolution de la SEP à long terme. Ils concluent à un meilleur pronostic chez les femmes ayant des enfants après le diagnostic de la SEP. Ces résultats reflètent plus probablement le fait que les femmes qui vont mieux choisissent d’avoir des enfants, plutôt qu’un effet protecteur de la grossesse sur le pronostic à long terme. Quoi qu’il en soit, ils permettent au moins de conclure à l’absence d’effet délétère de la grossesse sur le pronostic fonctionnel. La péridurale Tout comme la grossesse, l’analgésie péridurale a longtemps eu la réputation d’aggraver la maladie, et en particulier de provoquer des poussées. Au cours de l’étude PRIMS, il n’a pas été montré de différence significative dans le taux de poussées du 1er trimestre du post partum entre les femmes ayant eu ou non une analgésie péridurale. Bien entendu, le choix de la péridurale était laissé à la patiente, et le niveau de preuve n’est donc pas celui d’une étude randomisée, qu’il serait impossible de concevoir éthiquement. Cependant, cette information descriptive est un élément rassurant, et la péridurale ne doit pas être contre-indiquée en raison de la SEP chez ces femmes. La SEP modifie-t-elle l’évolution de la grossesse ? Il est habituellement considéré que le travail et l’accouchement ne sont pas différents chez les femmes atteintes de SEP, sauf dans les situations très particulières et rares où le handicap moteur est très important. L’indication d’accouchement par voie basse ou par césarienne se fait donc pour des raisons essentiellement obstétricales et non neurologiques. Le terme ou le poids de naissance de l’enfant ne sont que peu ou pas influencés par la SEP. Dans l’étude PRIMS, sur les 252 grossesses suivies initialement et non perdues de vue, il y a eu 12 fausses couches spontanées et 3 enfants morts-nés. Les autres grossesses ont donné lieu à la naissance d’un ou plusieurs enfants (8 grossesses gémellaires), avec un terme moyen normal de 39,4 semaines (dont 25 accouchements avant la 36e semaine d’aménorrhée), un poids de naissance moyen de 3,3 kg (dont 7 pesaient moins de 2,5 kg) et un sex-ratio de 1,16. Le terme ou le poids de naissance de l’enfant ne sont que peu ou pas influencés par la SEP. L’allaitement : pour ou contre ? Pour l’allaitement comme pour la péridurale, le choix est toujours laissé à la patiente, entraînant les mêmes commentaires méthodologiques sur le niveau de preuve des résultats. Dans PRIMS, il n’y avait pas de différence significative dans le taux de poussées du 1er trimestre post partum entre les femmes ayant allaité ou non, mais une tendance à un taux de poussées plus faible en cas d’allaitement. Depuis, d’autres études ont suggéré qu’un allaitement exclusif durant plus de 3 mois aurait un effet protecteur, en comparaison à l’absence d’allaitement ou à un allaitement mixte. L’interprétation de ces résultats est délicate, car ils pourraient refléter essentiellement le fait que le choix des femmes d’allaiter est étroitement lié à l’activité plus ou moins importante de la SEP au cours de la grossesse et dans l’année précédente, et/ou au désir de reprendre ou non un traitement de fond immuno-actif. Dans la pratique, il est important de laisser les femmes faire ce choix très personnel, en les conseillant mais surtout en évitant toute attitude moralisatrice vis-à-vis de l’allaitement ou de la reprise d’un traitement de fond. Quid des traitements ? La grossesse est le plus souvent programmée chez les patientes atteintes de SEP, pour anticiper la discussion sur les risques éventuels liés aux traitements et pour arrêter si nécessaire les traitements en cause. Le principe de précaution doit prévaloir, et il est d’usage de réduire les traitements au minimum indispensables. Malgré tout, certaines grossesses ne sont pas programmées. Le même principe de précaution s’applique alors, et les patientes doivent être informées des risques, s’ils sont connus.Malheureusement, peu d’informations sont disponibles, même si des registres de suivi de grossesses, institutionnels ou industriels, ont été mis en place pour mieux préciser les risques liés aux traitements de fond en particulier. Le traitement des poussées Le traitement des poussées est discuté au cas par cas selon sa sévérité et la gêne fonctionnelle ressentie par la patiente. La méthylprednisolone à fortes doses en bolus court peut être utilisée quel que soit le terme de la grossesse. L’allaitement n’est pas contre-indiqué, même si les corticoïdes, y compris à faible dose, passent dans le lait maternel. Il est alors souhaitable d’observer un délai de 3 ou 4 heures entre l’administration du traitement et la têtée. Le traitement des symptômes Il doit être réduit au minimum, en nombre de médicaments et en posologie, ce dès que la grossesse est envisagée et la contraception arrêtée. Les traitements de fond Le traitement de fond de la SEP est préventif. Dans la grande majorité des cas, il peut donc ne pas être considéré comme indispensable. De plus, la grossesse chez une patiente atteinte de SEP est en général programmée, plutôt dans une période peu active de la maladie. Le traitement de fond est alors interrompu avant la conception, et la pratique consistait jusque récemment à maintenir une contraception efficace pendant 2 à 3 mois après l’arrêt. Cette précaution est indispensable avec les immunosuppresseurs, justifiée par le risque tératogène avéré de certains (mitoxantrone, cyclophosphamide, méthotrexate, mycophénolate mofétil). Ces pratiques évoluent avec l’accumulation d’éléments rassurants issus des registres, en particulier pour les immunomodulateurs, interférons et acétate de glatiramère. Ainsi, le résumé des caractéristiques du produit (RCP) des interférons a été modifié, permettant de poursuivre un traitement en cours de grossesse si l’évolution de la maladie le justifie. Ces pratiques continueront à évoluer avec l’arrivée de nouveaux traitements. En l’absence de données suffisantes pour ces nouvelles molécules au moment de la mise sur le marché, il paraît prudent de recommander la précaution d’une interruption 2 à 3 mois avant la conception. Après l’accouchement se pose la question de la reprise d’un traitement de fond interrompu en raison de la grossesse. Là encore, il n’y a pas de stratégie univoque, mais il faut certainement prendre en compte l’allaitement (contre-indiqué quel que soit le traitement de fond), la fatigue et l’évolutivité de la maladie juste avant et au cours de la grossesse pour choisir la date de la reprise du traitement. Prévention des poussées du post partum : vers une stratégie spécifique ? La question du traitement préventif des poussées du post partum est importante. Chez les femmes les plus à risque, on pourraît reprendre un traitement de fond immunoactif dès l’accouchement. Malheureusement, les traitements immuno-actifs disponibles actuellement ne sont efficaces qu’au bout de quelques semaines, et il n’est pas certain que leur reprise, même précoce, permette de prévenir ces poussées. Seul le natalizumab a un délai d’action rapide, mais ses indications sont restreintes par l’AMM aux formes très actives de la maladie. Il a donc paru nécessaire de développer des stratégies spécifiques à cette période particulière. Plusieurs pistes ont déjà été explorées, d’autres restent à évaluer. Les immunoglobulines intraveineuses (Ig IV). Si plusieurs études en ouvert ont montré une réduction de la fréquence des poussées avec un traitement préventif par Ig IV au cours de la grossesse et/ou dans le post partum, la seule étude randomisée, en double insu, contre placebo, l’étude GAMPP, était négative. Les Ig IV ne sont donc pas recommandées dans cette indication. Les corticoïdes par voie intraveineuse. Un travail lillois original comparait l’évolution de patientes traitées par des bolus mensuels de méthylprednisolone pendant 6 mois post partumà une cohorte de femmes suivies précédemment sans aucun traitement spécifique. Les résultats étaient en faveur d’une réduction de la fréquence des poussées dans le 1er trimestre du post partum chez les patientes traitées par corticoïdes. Quoi qu’encourageants, ils sont limités par des problèmes méthodologiques (absence de randomisation, contrôle historique, caractère rétrospectif) et devraient être confirmés par un essai prospectif, et randomisés avant de pouvoir être recommandés de manière systématique. L’intérêt de ce traitement serait de pouvoir être utilisé même chez les femmes allaitant. Les hormones sexuelles. La piste thérapeutique la plus récente pour tenter de prévenir les poussées du post partum se place dans la continuité des hypothèses physiopathologiques soulevées par l’étude PRIMS. Les estrogènes ont été proposés comme traitement des formes rémittentes, avec des résultats préliminaires positifs en termes d’activité inflammatoire de la maladie, mais des effets indésirables très limitants à court (hémorragies génitales) ou à long terme (cancers gynécologiques, maladies cardiovasculaires). L’étude POPARTMUS est un essai thérapeutique multicentrique franco-italien de phase III, randomisé, en double insu, contre placebo, visant spécifiquement à prévenir les poussées du post partum par une combinaison de progestérone et d’estradiol, administrée immédiatement après l’accouchement et pour une durée de 3 mois. Le recrutement des 300 patientes attendues dans l’étude a débuté en France fin 2005. Fécondation in vitro : nouvelle question ? Depuis quelques années , plusieurs publications ont fait état d’une augmentation du risque de poussées dans les 2 ou 3 mois suivant une fécondation in vitro. Ces premiers résultats sont à considérer avec précaution du fait du petit nombre de patientes concernées, du caractère rétrospectif et des possibles biais de sélection inhérents. Un travail collaboratif français, coordonné par l’équipe nantaise, plus systématique dans la méthodologie, mais toujours rétrospectif, confirme cette tendance, peut-être plus importante avec les agonistes qu’avec les antagonistes de la GnRH et en cas d’échec de la FIV. Des études prospectives seront nécessaires à l’avenir pour valider ces résultats. Il ne paraît pas justifié cependant de contre-indiquer aujourd’hui une procédure de procréation médicalement assistée chez une patiente atteinte de SEP ; mais comme pour la grossesse, le choix d’une période peu active de la maladie semble prudent, ainsi que l’utilisation, quand cela est possible, d’antagonistes de la GnRH. Conclusion • Les interactions entre grossesse et SEP sont aujourd’hui bien connues sur le plan épidémiologique. Elles doivent être expliquées clairement aux couples désireux d’avoir un enfant. • Sur un plan pratique, information et anticipation sont indispensables vis-à-vis des patientes, mais aussi de tous les professionnels de santé intervenant au cours de la grossesse et de l’accouchement (gynécologue- obstétricien, anesthésiste, sage-femme). • Le neurologue a donc ici un rôle clé : celui de faire de la grossesse chez une femme atteinte de SEP un événement de la vie beaucoup plus normal que pathologique.
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